« Avance au large » (12)




Journaliste (j’avais, entre autres suivi un cours de critique cinématographique, à l’UdM, et contribué à différents journaux étudiants et autres publications)? Chroniqueur? Auteur d’ouvrages littéraires? J’avais une grande curiosité intellectuelle et un fort amour de l’écriture. Animateur-radio ou télé? Ou graphiste, imprimeur? Éclairagiste, caméraman? Peut-être musicien professionnel ou psychologue… Professeur de français ou de religion? Animateur de pastorale au Secondaire ou au CEGEP? Ou bibliothécaire? Traducteur. Recherchiste. Ou travailleur social? Tous les tests d’orientation faits au Secondaire disaient que j’étais fait pour le service des autres, l’interaction sociale, le travail humanitaire. Tout, ou presque, m’intéressait, à cet âge. Devenir photographe ou cinéaste? Mais pas de carrière sportive, non. J’aimais le ski de randonnée, la natation et la bicyclette, mais sans plus. Je pense que je n’aurais même pas pu comprendre le contenu du livre ‘Le sport pour les nuls’… Mais alors, que faire de ma vie? Je veux qu’elle ait du sens. Quelle carrière pourrait être la mienne?

Seigneur, aide-moi. Esprit-Saint, guide-moi. Toi qui m’as désiré, voulu, créé avec tant de dons et de capacités, où me vois-tu? Quel serait le meilleur chemin pour moi, pour mon bonheur et mon épanouissement? Que dois-je choisir pour que mon existence apporte quelque chose d’utile et d’unique à l’humanité, et à la construction de ton Royaume, mon Dieu? Comme disait mon prof d’anglais en Secondaire V, au début de chaque cours (on avait le droit de prier à l’école, à cette époque) : ‘Esprit Saint, éclairez-nous!’ Combien de fois j’ai crié vers le Ciel pour qu’il m’oriente dans la bonne direction… Et me voilà entré en théologie. Plus, me voilà au seuil du Grand Séminaire!

Oui, j’y ai finalement mis le pied. Je me suis calmé grâce aux paroles rassurantes de mon nouvel ami qui me conseilla d’oublier la bâtisse et de constater toute la vie, toute la fraternité et la joie qui s’y déployaient. Mon petit côté aventurier –et, oui, sans doute le Saint Esprit- m’avait donné la force d’entrer et de me rendre à la cafétéria. Malheureusement, mauvaise première impression. Ça sentait la cigarette à plein nez et on ne s’entendait pas penser tellement le niveau sonore était élevé. Agressant. Soixante-cinq séminaristes attablés après s’être servis comme dans une cafétéria d’école, sans compter la dizaine de membres de la direction et les professeurs, assis à part. Et, péché capital pour moi : ce lieu se trouve au sous-sol, donc très peu éclairé par la lumière naturelle. J’étouffais littéralement. Étant légèrement asthmatique, la situation s’avérait d’autant plus pénible. Mon copain m’offre de venir me servir un repas, et je n’ai jamais mangé si vite de ma vie, en me disant qu’heureusement, je ne remettrais jamais les pieds là! Je me suis senti étranger à tout ça. Évidemment, les gars, vivant ensemble à longueur de temps et ayant développé des liens fraternels forts –certains, depuis des années- n’ont pas fait grand effort pour m’intégrer à leur groupe, et ça se pardonne. En même temps, ai-je moi-même fait l’effort d’aller vers eux? Pas du tout, je l’avoue. À quoi bon, quand on est convaincu qu’on ne les reverra plus…

Je suis donc reparti, soulagé de sortir de cet antre de ‘vieux garçons’. Observateur attentif, il m’a quand même été donné de constater la richesse de personnalité de ces jeunes et la joie qui semblait les habiter. Glanant ici et là des bribes de conversation, et constatant la maturité de plusieurs d’entre eux (beaucoup avaient 25 ans et plus), leur expérience de vie d’avant le Séminaire (plusieurs avaient eu un métier, une profession ou des études dans des domaines très variés), je suis resté étonné et interloqué.

Après cette visite-éclair, qui semblait pourtant plutôt négative, je n’ai pu me débarrasser si facilement de cette lancinante question : et si j’étais appelé à vivre là, moi aussi, malgré mes réticences préliminaires…? Mais, Dieu soit loué, j’avais trois ans d’études devant moi pour continuer à réfléchir et explorer différentes possibilités dans ma recherche de ma place dans le monde et dans l’Église. Faire un choix de vie s’avère toujours ardu. Choisir, surtout au plan existentiel, c’est renoncer à quelque chose qui nous semble bon, pour quelque chose qui nous parait meilleur. Mais il n’y a pas de garantie qu’on ne fasse pas fausse route. L’existence humaine se bâtit à coup d’essais/erreurs. Ce qui est certain : pour avancer, il faut renoncer au terrain connu et sécure sur lequel on se tient, lâcher prise pour risquer un pas vers un ‘lieu’ dont on sait peu de choses avant de l’avoir expérimenté. Cela guidera la suite de mon cheminement.

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