« Avance au large » (12)
Seigneur,
aide-moi. Esprit-Saint, guide-moi. Toi qui m’as désiré, voulu, créé avec tant
de dons et de capacités, où me vois-tu? Quel serait le meilleur chemin pour
moi, pour mon bonheur et mon épanouissement? Que dois-je choisir pour que mon
existence apporte quelque chose d’utile et d’unique à l’humanité, et à la
construction de ton Royaume, mon Dieu? Comme disait mon prof d’anglais en
Secondaire V, au début de chaque cours (on avait le droit de prier à l’école, à
cette époque) : ‘Esprit Saint, éclairez-nous!’ Combien de fois j’ai crié
vers le Ciel pour qu’il m’oriente dans la bonne direction… Et me voilà entré en
théologie. Plus, me voilà au seuil du Grand Séminaire!
Oui, j’y ai
finalement mis le pied. Je me suis calmé grâce aux paroles rassurantes de mon
nouvel ami qui me conseilla d’oublier la bâtisse et de constater toute la
vie, toute la fraternité et la joie qui s’y déployaient. Mon petit côté
aventurier –et, oui, sans doute le Saint Esprit- m’avait donné la force
d’entrer et de me rendre à la cafétéria. Malheureusement, mauvaise première
impression. Ça sentait la cigarette à plein nez et on ne s’entendait pas penser
tellement le niveau sonore était élevé. Agressant. Soixante-cinq séminaristes
attablés après s’être servis comme dans une cafétéria d’école, sans compter la
dizaine de membres de la direction et les professeurs, assis à part. Et, péché
capital pour moi : ce lieu se trouve au sous-sol, donc très peu éclairé
par la lumière naturelle. J’étouffais littéralement. Étant légèrement asthmatique,
la situation s’avérait d’autant plus pénible. Mon copain m’offre de venir me
servir un repas, et je n’ai jamais mangé si vite de ma vie, en me disant
qu’heureusement, je ne remettrais jamais les pieds là! Je me suis senti
étranger à tout ça. Évidemment, les gars, vivant ensemble à longueur de temps
et ayant développé des liens fraternels forts –certains, depuis des années- n’ont
pas fait grand effort pour m’intégrer à leur groupe, et ça se pardonne. En même
temps, ai-je moi-même fait l’effort d’aller vers eux? Pas du tout, je l’avoue.
À quoi bon, quand on est convaincu qu’on ne les reverra plus…
Je suis
donc reparti, soulagé de sortir de cet antre de ‘vieux garçons’. Observateur attentif,
il m’a quand même été donné de constater la richesse de personnalité de ces
jeunes et la joie qui semblait les habiter. Glanant ici et là des bribes de
conversation, et constatant la maturité de plusieurs d’entre eux (beaucoup
avaient 25 ans et plus), leur expérience de vie d’avant le Séminaire (plusieurs
avaient eu un métier, une profession ou des études dans des domaines très
variés), je suis resté étonné et interloqué.
Après cette visite-éclair, qui semblait pourtant plutôt négative, je n’ai pu me débarrasser si facilement de cette lancinante question : et si j’étais appelé à vivre là, moi aussi, malgré mes réticences préliminaires…? Mais, Dieu soit loué, j’avais trois ans d’études devant moi pour continuer à réfléchir et explorer différentes possibilités dans ma recherche de ma place dans le monde et dans l’Église. Faire un choix de vie s’avère toujours ardu. Choisir, surtout au plan existentiel, c’est renoncer à quelque chose qui nous semble bon, pour quelque chose qui nous parait meilleur. Mais il n’y a pas de garantie qu’on ne fasse pas fausse route. L’existence humaine se bâtit à coup d’essais/erreurs. Ce qui est certain : pour avancer, il faut renoncer au terrain connu et sécure sur lequel on se tient, lâcher prise pour risquer un pas vers un ‘lieu’ dont on sait peu de choses avant de l’avoir expérimenté. Cela guidera la suite de mon cheminement.