Collision providentielle (11)

 

Même si j’ai un tempérament anxieux et que -contrairement aux apparences- je suis timide, je crois que j’ai toujours aimé le petit pincement intérieur lors de nouveaux défis. L’inconnu et la nouveauté ont toujours suscité d’immenses papillons dans l’estomac, et pourtant je recherchais les expériences inédites, exigeantes. Peut-on devenir dépendant du trac? Il faut avouer que dans ma philosophie de vie, le dépassement de soi a toujours constitué une valeur majeure. Aller plus loin, sans cesse plus haut. Mon cœur en a probablement souffert davantage que je l’estimais, mais, selon moi, mieux vaut cette fatigue profonde que l’inertie. J’ai la conviction que toute eau stagnante se pollue et toute vie y meurt.

Voilà qu’un bon matin de fin d’été, je suis encore en route, pour la quatrième année d’affilée, vers l’Université de Montréal. Plutôt qu’à l’édifice Jean-Brillant que j’avais parcouru de long en large depuis trois ans, me voici dans l’édifice principal, sous l’immense 'tour du savoir'. Je suis nerveux et je me perds dans le dédale des corridors et locaux.

Alors que j’ai le nez en l’air pour scruter les affiches, je me frappe sur un autre étudiant qui, lui, selon l’assurance de son pas, semblait savoir où il allait. Nous nous excusons mutuellement et réalisons que nous nous dirigeons vers le même cours. Merci, Seigneur!

Un lien commence à se tisser. Je ne connais personne en théologie et cela me plaît de n’être pas pris dans ma solitude dans cette forteresse du savoir. J’apprécie la solitude, mais celle que je choisis. Voilà donc que nous mangeons ensemble et partageons un peu nos cheminements. Il m’apprend qu’il vient de la couronne nord de Montréal. Je ne pense même pas à lui demander comment il vit son transport. Je dois dire que, tout en ayant un esprit journalistique, mes parents m’ont appris la discrétion et le respect de l’autre. Je ne pose que les questions essentielles et accueille ce qu’on veut bien me partager, ça s’arrête là.

Après plusieurs semaines, ce jeune homme m’invite à dîner chez lui. Mais, on n’a pas le temps, lui dis-je. C’est bien trop loin, même en voiture (nous n’en avons pas, ni lui ni moi)! Pas de problème, me rétorque-t-il avec un sourire en coin : je demeure au Grand Séminaire de Montréal. Où? Qu’est-ce que c’est que ça, le Grand Séminaire de Montréal. Je n’en ai aucune idée, vraiment. Si quelqu’un m’en a déjà parlé, ça m’avait complètement échappé. ‘Suis-moi, tu verras’, dit-il. Paroles familières à mes oreilles. Un célèbre personnage de l’histoire a déjà dit ça à ceux qui se questionnaient sur son identité…et cela a bouleversé leur vie à jamais.

Quelque temps après, nous voilà arrivés devant ce qui me semble un musée du centre-ville, bien blotti derrière ses murailles. Nous passons aussitôt entre deux tours séculaires et… m’apparaît alors cet imposant édifice gris, couvert de vignes, haut de cinq étages, constitué d’une multitude de petites fenêtres.  Nous longeons d’immenses vitraux, poussiéreux et sombres : la chapelle du Grand Séminaire. Il faut avouer que tout vitrail ne peut être vraiment apprécié que de l’intérieur… Avec plus de quatre décennies de recul, j’ai la conviction que mon subconscient, à ce moment précis, a fait remonter à ma mémoire l’imposant édifice de la crèche d’Youville où mes parents biologiques m’avaient abandonné  à la naissance, et où mes parents adoptifs m’avaient emmené, vers l’âge de deux ans, pour l’adoption de mon petit frère. J’ai l’estomac en compote, l’angoisse à la poitrine, le cœur au bord de l’éclatement, les tripes aussi. Panique au 2065! Je n’entrerai pas là, il n’en est pas question!

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La semaine prochaine : Avance au large.


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