« Bienvenue! » (14)

 


Je ne me souviens pas de toutes les démarches nécessaires pour entrer au Séminaire, mais je sais qu’il fallait une lettre au recteur (avant une rencontre officielle avec lui) expliquant nos motivations, des détails sur notre scolarisation jusque-là (et nos résultats) et autres expériences pertinentes (comme mes engagements en paroisse, groupe de prière, et le Café chrétien, notamment), ainsi qu’un billet de médecin attestant de notre bonne santé…

Je fis ce qu’il fallait. Vint le jour de la rencontre avec le prêtre responsable du GSM, plusieurs semaines après le début des démarches. Je suis alors vers la fin de mon baccalauréat en théologie. Le trac au plafond, j’arrive à la porte de son immense bureau, à l’heure convenue. Je prie fort pour que le Seigneur me calme et me guide. Après la poignée de main d’accueil, le recteur qui me pose diverses questions, me demande des précisions, etc. Il me demande, par exemple, si une communauté chrétienne peut vivre sans prêtre et donc sans l’Eucharistie. On parle des promesses faites à l’ordination : obéissance à notre évêque et célibat.

À un certain moment, M. Gauvreau m’annonce fièrement que je suis retenu comme candidat et que je fus, dans l’histoire récente, l’un des dossiers les plus rapides à régler. Étant donné que ma théologie est faite (et que j’ai fait mon CEGEP à Grasset, chez les Messieurs de Saint-Sulpice  –la société de prêtres aussi responsable du Grand Séminaire-- donc que j’ai eu des cours de philosophie solides), on me fera entrer avec les finissants (4e année, à l’époque) et une année devrait suffire avant de m’envoyer en paroisse comme stagiaire. Un cas rare, un parcours qui sort de l’ordinaire, me dit-on. On va me suivre de près.

Je sors de là bouleversé. Dans quoi je m’embarque? J’ai des craintes, des incertitudes, des doutes plus forts que jamais. Mais je me convaincs que si c’est la volonté du Seigneur que je devienne prêtre, nous serons en mesure de le discerner dans l’année proposée. Et si jamais on comprenait que ce n’est pas ma place, j’aurai vécu une expérience spéciale qui aura sans doute su m’enrichir comme personne et comme croyant.

Cela peut surprendre certains que mon cheminement ne soit pas tellement dans le type du p’tit gars qui rêve de devenir prêtre depuis son enfance (même si j’ai ‘joué’ à faire la messe avec l’autel miniature en plastique que j’avais reçu à ma première communion). J’ai très peu connu de séminaristes dont c’était le cas, d’ailleurs. À notre époque, l’appel à la prêtrise se perçoit souvent après une certaine expérience de vie, d’études et de carrière dans d’autres domaines.

Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de l’été avant mon entrée officielle au GSM, sinon que j’ai continué mon travail en paroisse et que mes parents et moi sommes partis à l’aventure, en voiture, vers l’Ouest canadien! Je venais d’avoir 25 ans le 1er juillet; mes parents adoptifs, Rose et Roland avaient donc respectivement 62 et 57 ans. J’ai une cousine qui demeure en Alberta depuis son mariage et nous avions tellement hâte de la visiter chez elle avec son époux et ses enfants. Comme la petite famille habitait à 500km environ au nord d’Edmonton, j’en ai profité alors pour faire découvrir les fabuleuses Rocheuses à mes parents. J’y étais allé moi-même avec un ami (en train, jusqu’à Vancouver et Victoria) l’été de mes 23 ans, et j’avais été grandement impressionné. Coup de malchance, mon père a dû être hospitalisé pendant cinq jours peu de temps après notre arrivée chez Suzanne, à cause d’une phlébite dans une veine profonde de la jambe. Roland ne parlant pas un mot d’anglais ou presque, ma mère non plus, je fus le traducteur officiel pendant ces semaines de déplacement, particulièrement à l’hôpital. Disons que j’ai ‘travaillé’ fort, parce que, bien que bilingue, je connaissais peu le jargon médical dans la langue de Shakespeare (imaginez quand l’infirmière me demande comment va le « bowel movement » de mon père… Même en français, nous n’avions jamais vraiment discuté de cela (les selles).

Au retour de ce voyage inoubliable, j’étais vraiment fatigué. Les émotions de tous genres m’ont atteint sérieusement et je ne pouvais m’empêcher de penser au nouveau chapitre de ma vie qui allait s’ouvrir bientôt. De plus, il a fallu que je conduise pendant tout le trajet (près de 4500km, avec peu de haltes dodo, mon paternel malade étant très anxieux de se retrouver dans ses affaires), Roland devant rester allongé sur le siège arrière de la voiture et ma mère n’ayant pas de permis. Au retour, ma joie fut de créer un diaporama-souvenir (à partir de mes photos Kodachrome 35mm, narration et trame musicale synchronisées) de toutes les merveilles contemplées, cela présenté via deux projecteurs en fondus enchaînés. Vous me reconnaissez! Cependant, rapidement j’ai dû à nouveau faire mes bagages, mais pour un autre genre de voyage : mon déménagement de la fin-août. Je m’apprêtais à quitter, pour l’inconnu, ma petite maison familiale sécurisante et chaleureuse (‘enfin!’, disaient mes amis), et je sais que c’est pour de bon. L'était-ce vraiment?...

________________

La semaine prochaine: Dépaysement

Posts les plus consultés de ce blog

Bientôt de retour! (Art. 1)

La «Grande Noirceur» (Art. 3)

Bouleversement (2e partie) (Art. 5)