Bonne fête, p'tit frère! (Article hors-série)

 


Je ne peux passer sous silence que mon frère (adopté, comme moi, mais pas des mêmes parents biologiques) aurait eu 65 ans aujourd’hui, 16 avril. Il me manque tellement. Nous étions si proches. Il ne fallait pas faire du mal à mon frangin, vous auriez eu affaire au grand frère. Nous avions 22 mois de différence et certains de mes amis n’appréciaient pas toujours sa présence dans nos jeux (collés un jour, collés toujours) mais c’était à prendre ou à laisser! Il vient avec nous ou je ne vais pas avec vous! Nous faisions la paire. Très différents l’un de l’autre, mais d’inséparables complices. J’étais pince-sans-rire et lui excessivement ricaneur, ce qui a donné lieu à de cocasses sinon embarrassantes situations (pour lui!) à l’église ou lors de notre tournée de camelots, entre autres. Je savais comment déclencher ses fous rires et avoir moi-même l’air si innocent.

Mon frère était plutôt beau garçon, rieur, aimable, plein d’entregent,  serviable, comblé de qualités et de talents, mais il était atteint de maladie mentale. Son arrivée à la maison après son bref séjour à la crèche d’Youville (où je l’ai ‘choisi’ moi-même, me racontaient toujours mes parents) fut difficile pour nous tous. Il pleurait tellement, et si fort. Mes parents ne savaient plus quoi faire. Dans les moments de crise aigüe, mes parents devaient me faire dormir entre eux dans leur chambre, et parfois me mettre de la ouate dans les oreilles, afin que je puisse cumuler quelques heures de sommeil. Tôt, mes parents ont compris qu’il y avait un problème chez leur fils cadet. À cette époque, les autorités médicales mettaient beaucoup sur le dos de la grossesse anxieuse de la mère biologique (mais elle en était au sixième qu’elle mettait en adoption... Y avait-il chez elle une pathologie transmise génétiquement? On n’en sait rien.) ou du traumatisme de la coupure subite d’avec la mère suivie du séjour à la crèche. Qui peut dire? Plusieurs facteurs demeurent possibles. Quoiqu’il en soit, André, tout aimable qu’il était, demeurait difficile à saisir et, à certains moments, dès l’enfance, ses comportements, laissaient entrevoir que quelque chose n’allait vraiment pas en lui. À l’adolescence, commença la ‘descente aux enfers’ pour nous tous.

Je ne veux pas discuter ici de tous les aspects de la maladie de mon frère (un cas complexe, à plusieurs dimensions), mais je peux vous dire qu’il a été officiellement diagnostiqué ‘schizophrène’ à l’âge de 18 ans. Tant d’années à nous demander ce qui se passait avec André. Une longue histoire de souffrances, je peux en témoigner, dont son long séjour à l’Institut Pinel après quelques arrestations policières dans des situations indescriptibles (un indice : ‘Vous avez vu le film «Arrête-moi, si tu peux.»?) alors qu’il vivait ses jeunes années d’adulte.

J’ai compris la parabole de l’enfant prodigue en regardant agir mes parents envers mon frère : accueil inconditionnel, et beaucoup d’argent pour essayer de le sortir de sa misère. Et moi, parfois le grand frère de la parabole. Quand j’ai vu mon père pleurer pour la première fois, en lien avec la situation de mon frère… Avait-il jamais pleuré pour moi? Y aurait-il eu des raisons de le faire? Si oui, peut-être l’a-t-il fait en cachette.

L’histoire ne se termine pas bien. Un jour, André nous apprend qu’il a le SIDA. Nous sommes avant la tri-thérapie, alors il s’agissait dans la plupart des cas d’un arrêt de mort. Effectivement, après quelques années d’entrées et de sorties de l’hôpital, de pneumonies à répétition, mon p’tit frère bien-aimé est décédé à la Maison Dehon, à l’âge de 36 ans. Il y est entré pendant que j’étais en stage humanitaire de trois semaines avec un groupe de jeunes au Nicaragua. Il nous a quittés deux mois après mon retour de l’Amérique centrale.

Son passage vers le Père s’est fait un peu plus de deux ans après le décès de mon père Roland, des suites d’un cancer des poumons (8 mois seulement de maladie, et quelle période difficile). Mon frère venait de nous annoncer sa maladie quand mon père a appris la sienne… Tous ces drames se chevauchaient et s’entremêlaient, complexifiant d’autant la situation.

Vous imaginez combien ces deuils rapprochés (et les accompagnements nécessaires pendant la maladie) nous ont épuisés, ma mère (que vous voyez à son anniversaire, sur la photo, quelques mois avant d’André) et moi. Dans tout cela, il a bien fallu rester debout au pied de la croix. Comme fils aîné, je fus le pilier pour tout le monde, et le liquidateur des successions (!!!). J’ai trouvé particulièrement souffrant les trois fois où mon frère m’a demandé de lui donner l’onction des malades. J’étais incapable de trouver les bons mots tellement l’émotion me submergeait. Je me rappelle la troisième et dernière, où je me retenais pour ne pas hurler de peine devant mon frère et ma mère. En sortant, je trouve une crevaison à ma voiture. On reporte la crise de larmes à plus tard…

André, je t’aime. Je m’ennuie terriblement. Il arrive que je t’imagine, arrivant en voiture dans mon allée et frappant à ma porte pour qu’on prenne un bon café ensemble et qu’on jase de tout et de rien… On se reverra un jour, André, j’y crois de toutes mes forces. D’ici là, intercède pour nous. Je te bénis. Bonne fête, p’tit frère! xx

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