Fils, voici ta mère (63)
La souffrance, ma mère l'avait connue sous bien des formes. Mais celle-là... on ne l'attendait pas. L'annonce de mon frère qu'il venait d'être diagnostiqué du SIDA. On en connaissait la cause, bien sûr, mais qui aurait pu prévoir de telles conséquences? Mon père ne l'acceptait pas du tout. Quand mon frère nous visitait, mon père passait la maison à l'eau de javel. Il faut dire que nous sommes alors au début des années '90. La peur régnait. La médication (tri-thérapie) n'existait pas encore, et à coup sûr, le SIDA annonçait la mort à plus ou moins brève échéance. Rappelez-vous les débuts de la pandémie de COVID19 et comment on se sentait en présence des autres dans les lieux publics... Et le taux de mortalité s'avérait bien plus bas que pour ce que certains appelaient au début la peste des temps modernes. Combien de gens se sont d'ailleurs éloignés de nous à ce moment-là... J'ai souvenir d'une amie de Rose qui lui a interdit d'aller passer quelques jours chez elle, dorénavant, puisqu'elle utilisait alors ses toilettes et son bain. Un exemple parmi tant d'autres.
Dans ce contexte extrêmement douloureux, comme vous le savez nous avons perdu mon père suite à son cancer fulgurant. La première source de sa maladie: clairement, la cigarette, depuis des décennies, et deux paquets par jour. Mais je me suis toujours demandé si le facteur émotif face à la condition de santé de mon frère n'avait pas contribué à déclencher sa propre condition...Ma mère se débrouilla seule, un temps, à sa maison dans les montagnes. J'allais la retrouver chaque fois que possible, et je l'appelais tous les jours (vice-versa). Mais je demeurais inquiet de sa sécurité. N'ayant pas de permis de conduire, elle se retrouvait tout à fait dépendante de tous pour ses courses (j'en faisais une partie, heureusement), ses rendez-vous médicaux, l'accompagnement de mon frère (qui demeurait à Montréal), etc.
Me revenait ce chant, entendu si souvent au Cap-de-la-Madeleine, inspiré d'une page biblique: «Voici ta Mère, mon fils, prends-la dans ta maison,» Je n'aurais jamais pensé que cela me concernerait directement, un jour.
J'eus l'idée de partager mon sentiment à mon curé Ernest, comme un appel intérieur qui m'habitait. Au presbytère, deux pièces du temps -révolu- des ménagères demeuraient libre à l'étage. Ayant rencontré Rose à quelques reprises il la connaissait un peu et la trouvait plutôt sympathique. Avec l'accord des marguilliers, elle paierait une petite pension et pourrait nous rendre quelques services. Ma mère savait très bien cuisiner, même si ça n'était pas son activité préférée. Pendant son veuvage de son premier époux, soldat tué à Dieppe, elle avait été embauchée comme femme à tout faire, et ce durant quatorze ans- à la paroisse Saint-Léonard de Port-Maurice. Selon ce qu'elle me partageait souvent, ce temps avait été salutaire et guérissant pour elle. Revenir habiter dans la maison des prêtres pourrait sans doute lui plaîre et, une fois de plus, contribuer à sa guérison intérieure, me disais-je.
Effectivement, Rose ne se fit pas prier. L'idée de vivre à nouveau dans ce milieu ecclésial qu'elle avait grandement apprécié alors qu'elle avait dans la jeune vingtaine, et de côtoyer quotidiennement son fils aîné -son 'bâton de vieillesse'- tout en se trouvant près de tous les services dans le village de l'Assomption, souriait tout à fait à maman. Ce qui se réalisa rapidement. Quel tranquillité d'esprit pour moi que de la savoir toute près, en sécurité, sortie de sa solitude non choisie. Je l'aimais tant. Et quelle confidente extraordinaire, comme toujours. Je finissais régulièrement mes journées dans son minuscule salon, à lui raconter mon vécu, joyeux ou plus 'crucifiant'. Femme d'écoute, de tendresse et de grande foi, je repartais vers ma chambre l'âme en paix. Je me sentais vraiment privilégié de vivre cela. Il s'agissait d'un grand soutien dans mon ministère. Et nous partions ensemble vers le chalet lors de mon congé hebdomadaire; nous arrêtions faire un petit marché au village et profitions de ce temps de ressourcement dans la nature qui nous faisait tant de bien.
En peu de temps, Rose, aimable et sociable, se fit plein d'amis au presbytère et fut grandement appréciée par tous, autant le personnel et les autres pensionnaires de la maison que des paroissiens qui avaient pris contact avec elle lors des eucharisties. Je la sentais complètement 'dans son élément'. Je me réjouissais de son bonheur et me disais: il y a vraiment une 'aura' particulière autour de la mère d'un prêtre... N'est-ce pas? Dans l'histoire de l'Église, plusieurs ont contribué à la sanctification de leur fils... Et pourquoi pas la mienne? Quelle providence!
Ainsi, Jésus nous donna sa mère.
_______________________________
La semaine prochaine: La Maison des Jeunes