Dépaysement (15)


L’ami qui m’avait présenté le Grand Séminaire, avait terminé sa formation (entrait donc en stage) et me proposa gentiment de me prêter ses rideaux et autres accessoires utiles pour faire de ma nouvelle chambre un endroit agréable à habiter. Au quatrième étage de l’imposant édifice, presque au-dessus de l’entrée principale, je me revois, le premier soir, assis à la fenêtre ouverte, contemplant la grande ville au-delà des murs. Les bruits ambiants submergent mes sens. J’ai vécu jusque-là à Montréal-Nord qui, à l’époque, faisait partie de la banlieue paisible et tranquille de la métropole, surtout le soir. Je suis passé de cette ambiance feutrée à l’agitation du Centre-Ville qui ne dort jamais. Les larmes ont coulé, l’émotion était forte. Que sera demain? Que seront les prochaines semaines? Pour la première fois de mon existence me voilà ‘pensionnaire’, à 25 ans, avec une soixantaine d’autres gars, moi qui avais toujours fréquenté des écoles mixtes et refusais catégoriquement les propositions de mes parents d’étudier et vivre (cinq jours/semaine) dans un des grands collèges privés de Montréal. Je ne rangeai pas ma valise bien loin…

J’avais de gros papillons dans l’estomac. Ce fut de courte durée, heureusement. Il faut dire que j’ai toujours eu une grande capacité d’adaptation. Autant je peux être casanier ou attaché à une certaine sécurité et stabilité, autant j’aime la nouveauté et l’aventure. Allez comprendre… Sans doute que cela m’a aidé quand il s’agissait d’arriver dans une nouvelle paroisse…ou de la quitter pour une autre. Partir, c’est mourir un peu, dit le chant. Oui, un deuil à chaque fois.

Une excellente initiative sulpicienne à signaler, très pédagogique: l’année scolaire débutait systématiquement (pour les nouveaux, du moins) par un camp de fin de semaine vécu au lac Gémont dans les Laurentides, dans un endroit appartenant aux Sulpiciens. Il a fait froid et plu pendant trois jours, mais peu importe, cela a contribué à ‘casser la glace’ et créer de bons liens entre nous tous. Situation inédite, dans mon cas : comme mes études ont déjà été faites, on m’intègre au groupe des finissants qui, depuis trois ans, vivent quelque chose de fort, ensemble. Vous imaginez le défi pour moi? Et pour eux? Je fais peur à certains. On se méfie un peu de moi. L’un des séminaristes de ma classe me dit que la théologie, à l’université, c’est du communisme déguisé! (Pour certains, le statu quo est un dieu, et tout questionnement ou évolution est un péché grave. Nous n’avions peut-être pas lu le même Évangile.) De toute façon, on peut comprendre que tous n’ont pas nécessairement envie de me voir pénétrer dans leur cercle tricoté serré. Par grâce, au fil des semaines les méfiances tomberont et le ‘petit dernier’ finira par se sentir plutôt bien avec ses nouveaux grands frères, et vice-versa. Anecdote rigolote : dans mon premier mois au GSM, j’ai dû faire prendre ma photo officielle de… finissant. Particulier!

J’avoue que les liens les plus intenses se développèrent surtout avec les nouvelles recrues comme moi. Mais j’ai aussi vécu de très beaux moments avec mes confrères de quatrième. J’appréciais entre autres les Vêpres priées en groupe-classe du lundi au jeudi, et le partage spirituel du vendredi après-midi par notre directeur de groupe et/ou l’un de nous, tout juste avant que nous quittions pour le week-end. Nous retournions en effet dans nos familles jusqu’au dimanche soir.

L’horaire de notre vie du lundi au vendredi était planifié au quart de tour, vous vous en doutez. La prière occupait, bien entendu, une grande partie de nos journées, et sanctifiait les différentes étapes du jour (on apprend dès notre arrivée à faire le Bréviaire, la Liturgie des Heures, en quatre volumes, que nous devons nous procurer, neufs (50$ ch.) ou usagés). La matinée est consacrée aux cours. Dans mon cas, on m’a suggéré de prendre au moins cinq classes complémentaires tout au long de l’année, comme étudiant libre, dans des domaines que j’avais moins explorés à l’UdM, notamment la mariologie.

Ça ne m’a pas surpris, quand on a su que j’étais musicien on m’a demandé de faire partie de l’équipe de liturgie. Ce que j’ai fait avec joie, vous l’imaginez facilement. Bientôt, je me suis donc retrouvé à l’orgue et au chant des psaumes (l’un des trois ou quatre organistes/chantres) pour les Laudes (bréviaire du matin) et messes, au moins une semaine par mois. Pas si évident à 7h… Mais je fus heureux de m’impliquer de cette façon. Les semaines sans ma participation musicale me permettaient d’apprendre à servir la messe. Hé non, je n’avais jamais été enfant de chœur… 

L’après-midi se déroulait comme un temps libre où chacun pouvait lire, étudier, écrire, faire des courses ou du sport, ou aller marcher. Je n’ai jamais tant arpenté la rue Ste-Catherine de ma vie! Souvent, je partais du 2065, Sherbrooke Est et marchait jusqu’à la Place des Arts, aller-retour, observant la fébrilité urbaine. La fin de l’après-midi était généralement enrichie de la messe où les professeurs et directeurs présidaient et nous offraient tour à tour une homélie, fignolée et pertinente, parfois peut-être trop intellectuelle, disions-nous entre confrères. Pour le premier office du jour et l’Eucharistie, un spacieux mais sobre lieu de prière avait été aménagé juste avant l’entrée de l’immense et grandiose chapelle. Cette dernière servait surtout à l’apprentissage de l’oraison matinale réservé aux commençants (30 minutes en silence devant le Tabernacle à l’aube…; j’y ai quelques fois ‘cogné des clous’, Dieu me pardonne…), l’office du milieu du jour (facultatif) et lors de cérémonies spéciales, comme le rite solennel d’admission, l’institution aux ministères : le lectorat (Parole de Dieu) et l’acolytat (service de l’autel). D’ailleurs, c’est en ce lieu impressionnant et riche d’histoire, que j’ai vécu, le 20 janvier 1988, après les précédentes étapes, le premier degré du sacrement de l’Ordre, le diaconat (transitoire et non permanent, lorsqu’il s’agit d’un futur-prêtre), cinq ans et demie après mes premiers pas au Séminaire.

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