Enfin, le stage: des débuts 'corsés' (21)
(Presbytère et église Saint-Hippolyte de Ville Saint-Laurent) |
L’entrée en stage marque pour
le Séminariste une étape majeure de discernement vocationnel. Après deux ans de
séminaire, me voici stagiaire en paroisse. Nous sommes en 1984, je viens
d’avoir 27 ans.
Parlons un peu
du contexte, très particulier : nous attendons le pape Jean-Paul II au
Canada. Il sera à Montréal le 11 septembre, et mon curé de stage, Jacques, en
la paroisse Saint-Hippolyte, dirige
l’organisation de l’événement-jeunesse au stade olympique. Paradoxalement, je
ne pourrai le vivre qu’à la télé avec un groupe de paroissiens au sous-sol de
l’église, puisque j’avais choisi de privilégier la messe au parc Jarry, après
dîner. Je crois qu’il y avait des navettes spéciales pour nous conduire ensuite
au stade (séminaristes et prêtres) mais, en vérité -et vous me reconnaîtrez- je
trouvais triste que les membres de la communauté qui m’accueillait vivent cela devant
un petit écran sans la présence d’un mandaté de l’équipe pastorale, alors… Il
faut dire que nous avions déjà vécu, en matinée, une belle rencontre avec
Jean-Paul II, dans la grande basilique de l’Oratoire Saint-Joseph. En effet, évêques,
prêtres et séminaristes avions été invités pour un message qui s’adressait
particulièrement à nous. J’étais assis à environ 10 ou 15 mètres directement en
face du pape. J’avoue que j’ai eu de la difficulté à me concentrer pendant son
discours… En effet, ce n’est pas tous les jours qu’on se trouve si près d’un souverain
pontife…
J’arrive
donc au début de septembre à Ville Saint-Laurent dans cette immense paroisse
située entre l’autoroute des Laurentides, à l’est, et les terrains de Canadair
à l’ouest…et à ce moment-là le curé n’est presque jamais accessible en raison
de ses obligations spéciales. Il fait de très longues heures chaque jour avec
son équipe diocésaine. Quand je me lève, il est déjà parti, et quand il
revient, je suis couché. De toute façon, il était sans doute crevé au retour de
ses réunions, je le comprends très bien. Après la visite du pape chez-nous, mon
pasteur-accompagnateur sera invité pour une semaine à Rome avec les responsables
ecclésiaux canadiens, ce qui fait que je l’ai très peu vu avant la quatrième
semaine du mois. Heureusement, à cette époque il y avait encore des
ménagères-cuisinières qui habitaient dans les presbytères, et cette bonne dame,
Monique, a su m’accueillir et m’aider à emménager dans mes appartements avec
beaucoup de générosité. Mes parents me soutenaient aussi, bien entendu, dans ce
moment très important de ma vie.
Une anecdote :
voilà qu’un bon soir, vers 22h, nous recevons un appel d’un paroissien vivant
proche, pour nous dire qu’un robinet extérieur, sur le mur de l’église, semble
avoir éclaté… (probablement vandalisé). Pendant que la ménagère essaie de
rejoindre le sacristain ou un marguillier, je trouve l’atelier avec les outils,
et me voici les deux pieds dans l’eau, saisi par la fraîcheur de la nuit,
essayant sans succès de fermer le dit robinet brisé. Si nous avions su où se
situait l’entrée d’eau, ça aurait été tellement plus facile et rapide…
Heureusement, un marguillier s’est pointé le nez et j’ai pu entrer me
réchauffer. Bienvenue chez toi, cher stagiaire ‘homme à tout faire’! Je me suis
demandé : est-ce que tout cela fait partie d’une ‘initiation’, comme à
l’université? Mais non. C’est la vie, voilà tout.
J’étais
bien dans ces lieux. J’avais un bureau spacieux à l’étage, avec généreux
éclairage naturel sur deux côtés, et une petite chambre attenante. La salle de
bain et de toilettes se trouvait tout à côté. Devant le presbytère, des
dizaines de mètres de pelouse et d’arbres matures, le stationnement se trouvant
tout à l’opposé de mes quartiers. Un coin paisible et harmonieux.
Imaginez ma
surprise quand, éventuellement, le curé me décrivit la paroisse : riche des
vingt-et-une nationalités la constituant. De toute ma vie, je n’avais jamais
côtoyé autant de variété linguistique et culturelle. Pour la pratique
religieuse dominicale, je me rappelle surtout que beaucoup de Libanais et
d’Égyptiens étaient présents. Un autre souvenir : notre sacristain à temps
plein, employé salarié, était originaire du Vietnam. Il avait été professeur de
mathématiques à l’université, et le voilà, faute de reconnaissance de ses
diplômes et de ses compétences ici, en train de laver des planchers et des
toilettes. Il n’y a pas de sot métier, disait toujours ma mère… L’humilité et
la délicatesse de cet homme, malgré cette situation fondamentalement injuste
pour lui, m’avait édifié. Il se trouvait chanceux de pouvoir dignement gagner
sa vie et servir l’Église.
Fait à
souligner, le tissu social variait beaucoup d’un bout à l’autre de la paroisse,
allant de gens aisés, installés depuis longtemps dans Ville Saint-Laurent, jusqu’à
une population assez démunie financièrement. Dans la partie Est de la paroisse
(de l’autre côté de la voie ferrée, disions-nous), la densité de population
s’avérait plus grande que dans l’Ouest, alors depuis plusieurs années, une
messe dominicale, très fréquentée, était offerte dans le gymnase d’une école
primaire (il fallait monter et démonter la salle chaque dimanche, incluant
autel, système de son, etc.) en plus des nombreuses eucharisties à l’église. Le
curé m’invitait à y être présent assez régulièrement et à soutenir l’équipe de
bénévoles, avec le vicaire dominical. J’y animais le chant lorsque personne
d’autres ne pouvait. De plus, très bientôt je devins l’organiste et l’animateur
de chant attitré à la messe de 8h à l’église (ce qui me laissait le temps de me
rendre à la desserte). Personne n’en voulait, de cette tâche… Pas facile de
chanter à cette heure. Et quand on a une vie sociale, qu’on se couche tard le
samedi soir, pour ne pas dire, le dimanche matin, ce n’est pas évident d’être
frais et dispos à cette heure matinale. Et Dieu sait que la voix est un
instrument fragile qui reflète de façon assez évidente tant nos émotions que
notre forme physique. Ce fut une joie de servir ainsi, encore une fois.
Les choses
se déroulaient relativement bien pour votre humble serviteur, jusqu’à ce jour
dramatique du lundi, 22 octobre, qui me marqua pour toujours.
_____________________________
La semaine prochaine: Il s'appelait Christian.
Façade de l'église Saint-Hippolyte |