1984: virage ou...naufrage?(24)
1984. Non
pas le fameux roman de George Orwell, mais le grand virage catéchétique vécu
dans l’Église catholique du Québec, en cette année-là.
J’en ai eu,
des réunions, durant l’an 1 de mon stage. En plus des nombreuses rencontres
régulières, tous les agents de pastorale avons été convoqués à quelques
reprises par le diocèse pour des sessions d’information afin de nous aider à
prendre sainement et sereinement le tournant qui s’amorçait.
À cette
époque, le ministère de l’éducation prévoit que la catéchèse cède la place au
cours d’enseignement moral et religieux catholique (ou protestant) ou encore à
l’enseignement moral. La catéchèse, par définition, travaille directement à
faire des disciples du Christ. L’enseignement religieux consiste d’abord à
acquérir des connaissances au sujet d’une religion, sans nécessairement
conduire à l’adhésion de foi. Conséquemment, à partir de 1984, les paroisses
devront prendre totalement en charge la préparation aux sacrements (en 2000,
les services de pastorale –ce que je faisais avec Sœur Madeleine et plusieurs
autres ensuite, ailleurs) sont retirés des écoles primaires et remplacés au
Secondaire par des services de ‘vie spirituelle et d’engagement communautaire’.
Les diocèses commencent à créer des ‘parcours catéchétiques’.)
Étant
débordé dans sa tâche de pasteur, mon curé de stage me confie une grande et
difficile mission : celle de convoquer les parents (par groupe d’une
trentaine, je crois) pour leur annoncer et expliquer le virage en question. Lui
et Sœur Madeleine ont dû en animer aussi, au nombre de parents que nous avions
à rejoindre (était-ce seulement ceux qui prévoyaient demander un sacrement pour
leur enfant, dans l’année? Je ne me rappelle plus précisément. Quoiqu’il en
soit, beaucoup de soirées ont été consacrées à cela. Avec tout le reste de la
tâche, nous aurions eu besoin de semaines de 8 jours…et encore!)
Nous avons
accueilli de la surprise, de la déception, et beaucoup de colère. Certains
parents au tempérament plus vif nous ont carrément engueulés, comme si nous
étions les responsables de ce qu’ils considéraient comme une démission de
l’Église. Je sentais aussi que plusieurs ne se sentaient pas capables de vivre
toutes les réunions en paroisse que cela occasionnerait. D’autres ne se
sentaient pas à l’aise devant la tâche de transmettre eux-mêmes la foi, trouver
les mots, les images, les façons de faire. J’avais beau leur dire qu’on ne les
abandonnait pas dans cette mission, mais qu’elle serait partagée entre eux et
l’équipe pastorale, ainsi que les catéchètes que nous allions recruter, former
et équiper pour ce faire…ça déplaisait vraiment à beaucoup. Des soirées parfois
carrément insoutenables, où le respect n’était pas toujours au rendez-vous. Que
de fois, je retournais à ma chambre en pleurant, en me remettant en question. Je
me trouvais si peu préparé et outillé (malgré toutes les réunions diocésaines) pour
de telles situations. Si au moins nous avions pu faire un retour sur
l’expérience, en équipe, à chaud, le soir même. Pas possible.
On comprend
qu’il s’agissait d’un changement majeur. Après des décennies où la tâche avait
été confiée à l’école, tout à coup –et assez rapidement, ça ne fonctionne plus
ainsi. Pas évident à encaisser. De mon côté, j’avais pu constater –parce qu’ils
me l’avaient partagé sincèrement- que, dans les écoles, plusieurs professeurs
commençaient à se sentir vraiment mal à l’aise d’enseigner quelque chose en
quoi ils ne croyaient plus ou, en tout cas, de moins en moins. Favoriser
l’acquisition de connaissances sur une religion ou une autre, ça passe, comme pour
une matière académique. Mais préparer les jeunes à recevoir les sacrements de
l’Église, une institution à laquelle on n’adhère plus, voilà une situation particulièrement
ambiguë, où l’on se trouve vraiment en porte-à-faux. Cela n’aurait pu continuer
encore bien des années. L’école assumait au fond une mission qui revient prioritairement
à la communauté des croyant-e-s, d’abord et avant tout en famille, celle-ci épaulée
par la paroisse. Il a bien fallu aller de l’avant, résistances ou pas.
Cette
réforme a-t-elle porté des fruits comme tous le souhaitaient? Sans doute en partie.
Mais, dans la longue histoire ecclésiale, quelques décennies, c’est tellement
peu. Il s’avère encore tôt pour évaluer tout cela. Concrètement, il apparaît que
beaucoup de catholiques en ont profité pour quitter le bateau-Église au Québec
depuis un demi-siècle. Cela ressemble un peu à un naufrage en train de se dérouler
sous nos yeux, une désertion massive, et cela peut provoquer la panique, la
démission, le découragement. Mais je crois profondément que l’Esprit Saint n’a
pas dit son dernier mot, il y a des appels profonds dans ce que nous traversons.
Christ vit toujours et n’a pas cessé de nous révéler l’Amour infini du Père qui
désire une relation personnelle avec chacune et chacun. Les expressions de la
foi peuvent certainement changer, l’institution peut et doit clairement évoluer
davantage dans le sens de l’Évangile; pensons au grain de blé tombé en terre...
Nous, les ‘semeurs’ devons continuer à croire et espérer en Celui qui nous
envoie en mission. Nous, le levain dans la pâte, devons rester fidèles et
accepter d’agir en humbles instruments dans les mains de Dieu, même si,
extérieurement nous pouvons ressembler à d’inutiles serviteurs (pour emprunter
les mots de Jésus).
Mais, quel
contexte houleux pour amorcer une période de stage en paroisse! Intérieurement,
la question, lancinante, honnête, devant ce gros ‘bateau’ et son avenir apparemment
menacé : est-ce vraiment ma place? Et la volonté de Dieu pour moi,
personnellement, dans tout ça? Quels seront les tenants et aboutissements de ma réponse? Je ne pourrai trouver le bonheur qu’en accomplissant la vision de Dieu sur ma vie,
j’en suis convaincu. Alors, que veut-il vraiment pour moi? Il me faut faire le bon choix
qui orientera toute mon existence jusqu’à ma mort. Si je me trompais et prenais
mes propres sentiments humains pour la volonté du Seigneur alors qu’il m’appelle
ailleurs? Ainsi, au quotidien, je me laisse guider, je demeure à l’écoute. Je
prie, j’analyse et je discerne, je me fais accompagner. Je mise tout là-dessus.
Je m’investis corps et âme dans ce projet : je désire entrer pleinement
dans le Plan divin de ce Père-Miséricorde qui m’a voulu et me connait plus que
moi-même!
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La semaine
prochaine : Vent de jeunesse