Le Lac (28)

 


J’ai réalisé, un jour, que je n’avais jamais cessé de travailler, tous les étés, depuis l’âge de 15 ans. Il y avait mon travail d’organiste (parfois dans deux ou trois églises, le même week-end) ainsi que mon emploi d’été. J’essayais de me garder une semaine ou deux de congé avant de reprendre l’année scolaire. Parlant de celle-ci, contrairement à plusieurs de ma génération, et plus encore des jeunes  d’aujourd’hui, je n’ai pas pris de pause après mes études collégiales ou universitaires pour voyager ou pour tout simplement faire autre chose. Ce qui fait que l’été ’86, malgré les circonstances douloureuses, fut l’occasion, enfin, d’arrêter la machine et de souffler un peu. Providence divine?

À mon retour de séjour en Gaspésie. Je pris le temps de faire sécher mon matériel de camping avant qu’il ne moisisse! Il faisait bon dans la petite maison familiale de Montréal-Nord. Adoptant un rythme lent, méditatif, priant, je continuais à porter ma réflexion, plutôt sereinement. Et il fallait que je commence à me chercher un emploi, l’assurance-chômage n’étant pas la panacée.

Mais avant de m’y mettre sérieusement, je décidai de partir pour le Lac Saint-Jean. Environ une année auparavant, j’avais connu un jeune homme lors de ma session ALPEC de cinq jours, à Beloeil (sur la réalisation de messes familiales), et celui-ci m’avait beaucoup vanté la région de Roberval. Nous avions continué à communiquer et ses parents avaient manifesté le désir de me connaître et de m’accueillir chez eux. Après avoir vérifié avec eux si le moment était propice, je pris ma voiture et me rendit directement là-bas. Je n’avais jamais visité le Saguenay/Lac-St-Jean. Quelle région splendide! Je me retrouvai donc dans une explosion de joie et de chaleur humaine dans la maison familiale de ce copain, Pierre, à Ste-Edwige. Je me rappelle ce moment drôle : en arrivant, j’enlève mes souliers ‘propres’ et les dépose près de la porte. On me demande si j’ai apporté mes ‘chouclaques’ (pardon pour l’orthographe…). Je réponds que non parce que je ne savais pas que de la pluie était prévue! Éclat de rire collectif. Sur le seuil, je restais interloqué, je croyais qu’on parlait de couvre-chaussures imperméables… Mais non, au Lac il s’agit d’espadrilles, souliers de course, ‘sniks’ (de ‘sneakers’), ‘ronning s’ (pour ‘running shoes’)… On a fait le tour des appellations typiques de la langue de chez-nous ;-) On a bien rigolé. S’il y avait glace à casser, c’était réussi!

Quel belle première soirée, nous avons vécue autour de la table débordant de nourriture nouvelle pour moi, comme le cipaille et la vraie tourtière (il ne s’agit pas du pâté à la viande hachée auquel j’étais habitué). Eux, ne sachant rien de ce que je traversais –je ne voulais pas les troubler avec cela, particulièrement les jeunes de la maison- me posaient mille et une questions sur la foi, la religion, l’Église, la préparation au sacerdoce ordonné, la morale chrétienne, etc.  Le copain Pierre et sa famille me dirent, à la fin de la soirée : «Comme c’est précieux d’avoir quelqu’un qui écoute nos questions, y répond simplement et humblement, et nous aide à entrer plus profondément dans nos croyances et engagements chrétiens. Ça prend des gars comme ça et tu es vraiment à ta place!» Et de conclure en me demandant une prière d’action de grâces et une bénédiction sur la famille. Que d’émotions pour moi!

Ces gens si sympathiques m’avaient préparé une confortable chambre à l’étage, comme si Jésus lui-même les visitait. Je vous avoue que lorsque le ‘bonne nuit’ fut dit, et la porte fermée, les écluses s’ouvrirent et un flot de larmes jaillit de mon cœur. Heureusement que la chambre se trouvait un peu à l’écart des autres. Parce que cela dura quelques heures, croyez-moi. Larmes de guérison et de libération,  sans doute. Épuisé par la longue route et l’intensité des émotions, je ne m’endormis pourtant qu’aux petites heures. Et je fis ce rêve : je me trouvais dans un lieu très dépouillé, comme dans une tente, et je voulais accomplir une Eucharistie malgré le peu de moyens disponibles.  J’étais entouré de gens qui semblaient attendre quelque chose de moi. Je demandais à qui voulait m’entendre de m’aider à trouver ce qu’il fallait  pour célébrer… du pain, du vin, de l’eau…parce que j’étais fait pour ça, j’étais né pour ça, et que je ne pouvais vivre sans présider l’Eucharistie. Je me réveillai au moment de soulever l’hostie vers le Ciel.

La semaine prochaine : L’Assomption de Marie

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