Et le tapis rouge? (33)

 


J’étais déjà debout près de la porte de son bureau quand le curé Robillard provoqua en moi un mouvement de recul : «Écoute-moi bien. Je suis prêt à t’accueillir comme stagiaire, mais je ne veux surtout pas que…». Que va-t-il me dire? L’anxiété accélère mon coeur. Allais-je partir en courant et devoir demander une entrevue ailleurs? Il m’affirma alors ceci : «J’accepte d’être ton responsable de stage, si ça te va, mais je ne veux pas que tu me prennes comme modèle.» Un mentor, oui, mais pas un modèle. Ne m’imite surtout pas, insiste-t-il. Soulagement. Il tient à ce que je n’essaie jamais de calquer sa vie de prêtre (il a trop de défauts, de toute façon, affirme-t-il; je n’en avais d’ailleurs pas du tout l’intention, croyez-moi) mais que j’œuvre sans cesse à découvrir quel prêtre le Seigneur désire que je sois. Il s’avère primordial d’explorer et de faire advenir mon unique ‘couleur’ pastorale. En fait, ne s’agit-il pas de l’aventure de toute vie humaine (nous sommes tous ‘pasteurs’ de quelqu’un ou quelques-uns, non?), et ce, jusqu’au dernier souffle? Qui suis-je, dans le plan de mon Créateur? Le découvrir et l’approfondir au jour le jour devient chemin d’épanouissement rayonnant et de véritable bonheur.

Je lui ai répondu que ce qu’il venait de me déclarer venait confirmer, solidifier ma décision de travailler dans sa paroisse. Suite à mon expérience précédente, ce sont les mots que j’avais besoin d’entendre, vraiment. Mon Dieu d’Amour me parlait par la bouche de son serviteur Jean. Je ne pouvais, à partir de là, qu’aller de l’avant.

Et je le dis, vous le constaterez dans les prochains articles : je vécus avec lui, avec le Père Laporte, l’équipe entière et toute la communauté, des années merveilleuses. Exigeantes, fatigantes, mais extraordinaires. Parmi les plus lumineuses de ma vie pastorale.

Je repartis faire mes valises et annoncer à mes parents que j’avais le cœur en joie, non pas de les quitter une fois de plus, mais d’avoir trouvé un nouvel endroit de stage prometteur. Ce qui fut un soulagement pour eux qui m’avaient vu bien souffrant dans les derniers mois. Par téléphone, je proposai une date assez proche pour mon emménagement dans ma chambre et mon bureau à l’étage du presbytère.

Me voilà donc, début octobre, en pleine vague de chaleur (étonnant, à cette date, mais oui, ça existait déjà en ’86), sur le petit perron du presbytère, l’auto remplie des bagages essentiels, à attendre qu’on me réponde… attendre… et attendre. J’étais pourtant… attendu…, non? Me suis-je trompé de date ou d’heure? Où est le curé Jean? Et le tapis rouge (je blague, évidemment! Je les ai fuis toute mon existence.)? Voilà qu’après plusieurs sonneries insistantes, je m’apprête à repartir (c’était avant l’avènement des cellulaires). Je marcherai dans le quartier, première investigation. Puis la porte s’ouvre subitement. Une personne âgée, tout petite, timide à l’extrême, s’excuse d’avoir mis tant de temps à répondre, celle-ci habitant dans la section de la ménagère, en haut de la cuisine, assez loin de l’entrée du secrétariat. Elle m’annonce que M. le curé s’excuse aussi de son absence, ayant été appelé au chevet d’un mourant, dans l’immense Centre d’accueil tenu autrefois par des Sœurs de la Providence, à quelques pas de là. Pas de problème, je comprends, ça fait partie de la vie d’un prêtre. En attendant, je commence à m’installer dans mes deux pièces (la salle de bain étant plus loin dans le corridor, et commune à M. le vicaire et moi), dans une chaleur assez étouffante –et agréable à la fois- de ce début d’automne aux allures d’un été qui ne veut pas lâcher prise : fenêtres fermées depuis longtemps, certaines restées collées dans la peinture, il y a des années. Ça sent le renfermé. Aérons! Ce faisant, il me revient ce fait, qu’on m’a raconté : en déclenchant Vatican II, le bon pape Jean XXIII (fête liturgique le 11 octobre, anniversaire d’ouverture du Concile, en 1962) avait dit qu’il fallait ‘ouvrir la fenêtre de l’Église afin que nous puissions voir ce qui se passe dehors et que le monde puisse voir ce qui se passe chez nous.’ Alors, ouvrons! Même si certains ont peur des courants d’air… Quand l’Esprit souffle, ça ‘décoiffe’.

Mon nouveau confrère me rejoint bientôt pour compléter cet accueil ‘chaleureux’. Mon déménagement se vivra sur plusieurs jours et j’appréciai vraiment qu’on ne me bouscule pas et qu’on ne me précipite pas trop vite dans l’action. Bien évidemment, chaque jour, entre autres lors de la messe à laquelle je participais dans l’assemblée (il y en avait trois par jour, depuis 7h le matin, par un prêtre du Collège!) dans cette magnifique et immense église de près de 1000 places, je fis déjà la connaissance de beaucoup de gens et commençai à m’apprivoiser à ce nouveau milieu de vie, tout comme les fidèles de la paroisse avec moi. Les gens manifestaient beaucoup de générosité à m'intégrer dans leur vie de communauté chrétienne. Je considérais sincèrement cela comme un privilège. Je leur en serai toujours reconnaissant.

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La semaine prochaine : Une magnifique ‘trinité’

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