Histoire de porte (31)
Incroyable
mais vrai, le souhait de mon petit prophète de cousin s’était réalisé! J’étais
nommé, non pas à Notre-Dame de l’Assomption sur la rue Hochelaga, mais à la
paroisse l’Assomption-de-la-Ste-Vierge, à Ville de l’Assomption! Je n’en
croyais pas mes oreilles. J’exprime ma joie au responsable du personnel. Il se
réjouit parce que ma réaction l’inquiétait un peu. C’est quand même loin, me
dit-il. Je sais, mais j’ai une voiture, et plusieurs cousins dans l’coin, lui
répondis-je. Et moi qui aime tant la nature. Je serai tout près de la rivière
et des grands champs, sans compter toutes les richesses de cette municipalité
qui se développait de plus en plus et voyait s’y installer nombre de jeunes
familles.
Mais avant
de célébrer la chose, il me faut évidemment rencontrer le curé, Jean Robillard,
que je ne connais aucunement. Il a le droit de ne pas vouloir de moi après une
entrevue. Et vice-versa; vous comprenez que je porte plusieurs appréhensions
après mon expérience précédente…
Voilà que
je communique avec le pasteur en question et nous fixons une rencontre au
presbytère de la paroisse. Il ne faut pas tarder, les semaines s’écoulent
rapidement et l’année pastorale débute rondement, dans cette communauté. Jean
me dit : tu te stationneras devant la première porte de garage. Parfait. J’arrive
donc au jour et à l’heure prévus, et je gare ma voiture devant la dite première
porte de garage. J’ai toutefois un choix, comme il y en a trois : la
première en partant de la gauche? Ou la première en partant de la droite?
Logiquement, on compte à partir de la gauche, comme on lit, non? Je laisse donc
mon auto devant la première, à gauche et j’entre au secrétariat.
Je fais
face à un monsieur de 56 ans, aux cheveux poivre et sel clairsemés et à la
barbe plus fournie mais de la même teinte. La main est solide et chaleureuse.
On m’offre le café. Ça augure bien. J’entre dans son bureau : désordre
sympathique, bureau face au mur. Il n’existe donc pas de barrière psychologique
entre lui et moi. Je me sens déjà plus à l’aise que s’il se situait derrière un
grand bureau de direction et moi de l’autre côté. Non, nous sommes proches. Je
trouve cela rassurant et prometteur. L’ambiance s’avère fraternelle,
conviviale.
La porte, demeurée ouverte, j’entends les bruits et les odeurs de la vie dans la maison. Ça sent la bonne nourriture. Ah! Ils ont une cuisinière? Fait assez rare, déjà à cette époque. Puis une voix forte brise ma rêverie, un pas lourd et pressé : «Qui s’est stationné devant ma porte de garage?» Soudain, cet homme trapu, dans la jeune soixante-dizaine, cigarette à la main, sourcils froncés, entre en trombe dans le bureau du curé pour se plaindre de la situation. Jean semble déçu, sinon contrarié, que je ne me sois pas stationné devant la première porte, tel qu’il me l’avait proposé. Pourtant oui… il me semble. Mais lui parlait de la première porte en partant de la droite (du côté du presbytère). Oups. Ainsi commencent parfois les guerres. Ça débute mal pour moi, cette rencontre… je bloque la précieuse porte de garage de celui que je découvrirai bientôt comme vicaire de la paroisse, Émery Laporte.
Les
présentations faites, les excuses offertes, l’ambiance se détendit rapidement.
M. Laporte cachait bien, sous ses airs de coriace aguerri un cœur sensible et
aimant. Il fallait le connaître et dépasser les apparences. Quant au curé, il
dégageait une énergie sympathique et chaleureuse, même si certains le percevaient
comme un monsieur sévère. Ils l’avaient peut-être connu comme préfet de
discipline au Collège de l’Assomption dans ses débuts de sacerdoce? Il n’avait
pas été tendre, paraît-il. Il le regrettait, d’ailleurs, cela n’allant
tellement pas dans le sens de sa nature. Mais il manquait d’expérience et
voulait asseoir solidement son autorité. Comment était-il, maintenant, comme premier
pasteur de paroisse, me demandai-je? Peut-on changer, redevenir fidèle à soi, une
fois que le mauvais pli est pris pendant des décennies?
M. Laporte
ayant regagné ses appartements à l’étage, Jean me révèle soudain qu’il avait
fait ses devoirs et s’était informé de mon cheminement jusqu’à ce jour,
particulièrement en appelant mon premier curé de stage pour en savoir davantage
sur les raisons de mon renvoi. Ah bon…?
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La semaine
prochaine : Bienvenue ou au revoir?