La grande demande (35)
À titre de stagiaire en paroisse, on nous demande de nous familiariser avec tous les
aspects de la vie d’une communauté chrétienne. Ce fut, bien entendu, le cas à l’Assomption.
J’étais particulièrement à l’aise avec cette ‘tournée’ des différents services
et comités puisque cela faisait déjà, à vingt-neuf ans, quatorze ans que je m’impliquais
en paroisse, particulièrement en liturgie, dont deux années à Ville
Saint-Laurent.
L’une des
démarches proposées m’avait particulièrement ému. Mon curé m’a demandé de l’accompagner
dans sa visite régulière du ‘centre d’accueil’ d’aînés, au coin de la rue
(immense institution de plusieurs étages, tenue autrefois par des Sœurs de la
Providence, et où on trouvait beaucoup de cas ‘lourds’, comme on le milieu). Au
Secondaire, grâce au service de pastorale offert à la polyvalente
Calixa-Lavallée, j’avais eu la joie de vivre plusieurs projets dans des centres
d’aînés, de personnes handicapées non-autonomes, de gens abandonnés par leur
famille, ou de sans-abri (‘La porte du Ciel’, ‘Accueil Bonneau’, etc). Nous aidions
à servir des repas, laver des planchers, à faire jouer les résidents au bingo.
Nous apportions de petits cadeaux, faisions de l’animation musicale, de l’écoute
active, etc. Quelles extraordinaires expériences –bien préparées- qui nous ont
façonnés pour la vie dans le sens de l’attention aux plus démunis (dans toutes
les dimensions du terme). Alors, je me suis senti confortable dans la visite
que me faisait vivre Jean Robillard. Même que ça me manquait de ne plus avoir
ce genre d’occasions de service et de présence. À la paroisse St-Hippolyte, on
m’avait plutôt initié intensivement à la pastorale scolaire. Je ne me rappelle
pas de visite dans une Maison d’aînés.
De toutes
les personnes rencontrées, quelques-unes m’ont totalement chamboulé. Je pense à
cet homme dans la soixantaine qui avait géré avec compétence et passion une
immense ferme dans la région, et qui souffrait maintenant d’alzheimer avancé. Il
était redevenu comme un bébé vivant sa phase orale. Il y avait sur sa tablette
de chaise une panoplie de jouets pour tout-petits. Une préposé nous a avertis
de ne pas lui donner l’une de nos cartes de vœux (fabriquées avec talent et amour
par les enfants de la paroisse), parce qu’il tenterait sûrement de la manger… J’en
ai encore des frissons.
Puis, cette
dame très âgée… Jean m’avertit d’avance que ce que je vais voir risque de me
bouleverser. Wow. La personne derrière la porte avait été victime d’un incendie
qui l’avait défigurée. Effectivement, quand je la vis, j’eus un léger mouvement
de recul. Presque totalement édentée, une dernière incisive avait pourtant survécu
et traversait la peau à l’horizontale, entre le nez et la lèvre supérieure. À l’époque,
les techniques de greffe de peau existaient-elles? Je ne sais pas. Sûrement pas
dans le cas de cette dame, je peux vous l’affirmer. Mais quelle beauté dans cette
dame pleine de vie, pétillante, une attitude remarquable de reconnaissance de la
part de celle-ci devant la carte qu’on lui offrait! Ses yeux pétillaient de
bonheur. Très lucide, vive d’intelligence, elle nous manifesta sa joie de nous
recevoir au cœur de son immense solitude qui durait depuis quelques décennies,
dans cette petite chambre où on la visitait trop peu. Je me disais que c’est ce
que voulait prioritairement faire Jésus : prendre soin de ces êtres ‘marginalisés’
pour tant de raisons, souvent injustes. ‘Revenez vite’, dit-elle, au moment de
notre départ. Ce fut pour moi la dernière personne rencontrée, cette
journée-là. Après avoir parcouru les différents étages, j’avoue que je me sentais
épuisé et au bord des larmes. Mon cœur débordait de peine, oui, devant tant de
misères humaines, mais aussi d’allégresse profonde d’avoir apporté un petit peu
de soleil à tant de gens.
Puis, un
grand tournant dans mon cheminement : ma participation, dès les premières
semaines, au Conseil de Pastorale Paroissiale (CPP), un organe majeur pour le
fonctionnement d’une communauté chrétienne d’après Vatican II. Une douzaine de
personnes de différents âges, implications et intérêts se rencontraient mensuellement,
avec le pasteur et les agentes de pastorale scolaire au primaire, afin de ‘rêver’
la paroisse, partager sur les besoins qu’on discerne, promouvoir des actions
concrètes, faire un plan pour plusieurs années, et j’en passe; au fond, dans ce
comité, il s’agissait de laisser parler l’Esprit Saint, qui toujours favorise
la communion des disciples davantage que la hiérarchie des pouvoirs. Le CPP
doit sans cesse garder ses oreilles et son coeur ouverts à tous les membres du
peuple de Dieu, avec un amour évangélique solide.
Dans ce
contexte, où j’apprenais beaucoup et m’émerveillais tellement de l’engagement
de chacune et chacun, on me fit, un soir, la grande demande : ‘Nous
voulons démarrer la pastorale-jeunesse dans l’Assomption, concernant surtout
les adolescents -il s’agit d’une urgence- et nous avons pensé à toi comme
responsable de ce volet incontournable de notre vie paroissiale. Tu es jeune,
voilà un atout, alors qu’en dis-tu?’
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La semaine
prochaine : les premiers pas