Pas sortis du bois (44)

 


En sixième année à l’école René-Guénette (Montréal-Nord), mon professeur, M. Forgues, me choisit pour participer à un camp de cinq jours à Frelighsburg (Cantons-de-l’Est/Estrie) après la fin des classes. Devant mes bons résultats scolaires et mon double intérêt pour la nature et les sciences, ce camp de groupe devait me permettre de développer ces passions avec d’autres jeunes tout autant intéressés. Nous sommes partis en famille, un bon dimanche, visiter cet endroit situé tout près de la frontière américaine, et tout nous souriait dans ce projet : le lieu enchanteur comme le programme proposé, constitué d’expériences en forêt comme en laboratoire, conjugant recherche et créativité, sans oublier les temps de loisirs animés. Malheureusement, différents facteurs ont fait que je n’ai pu y participer, en fin de compte. Cela aurait été le premier camp de toute mon enfance (non, je n'ai pas fait partie des scouts dans ma jeunesse, mais beaucoup plus tard. Je vous raconterai, un jour.).

Un saut dans le temps : étudiant au collégial, parmi les choix en éducation physique, on nous offre deux week-ends intensifs en ski de fond à l’Auberge du P’tit Bonheur, dans les Laurentides (de mémoire, au lac Quenouille)! Mon frère et moi avions reçu des skis de randonnée au Noël précédent et je me considérais comme un ‘maniaque’ de cette activité! En effet, depuis l’âge de 16 ans, j’allais skier dans les différents parcs de Montréal, de Laval, de Lanaudière et des Laurentides, dès que je le pouvais (avec mes parents, des amis ou en autobus/métro), même des soirs de semaine! Alors, imaginez ma joie de vivre ce premier camp à vie avec un beau groupe d’étudiants, en plein mois de janvier. Il faisait froid et il y avait une grande quantité de neige au sol, quelle beauté! Nous faisions la randonnée non pas dans des sentiers tracés mais dans la neige folle et souvent dans des pentes assez corsées. Évidemment que nous passions une grande partie de notre temps à acquérir des techniques professionnelles et à les peaufiner. Mon plus beau souvenir s’avère le ski de nuit où le professeur nous avait réveillés à 4h du matin pour partir en excursion. Les cinq plus grands d’entre nous (hé oui, avec mes 5’9’’, c’était mon cas…autre époque…) portions une lampe frontale pour guider les autres. Je me rappelle une pente dangereuse (digne du ski alpin hors-piste) où on m’avait fait descendre en premier et demandé de rester en place tout en bas (après avoir ouvert la piste pour les autres) pour éclairer mes compagnes et compagnons. À 17 ans, me voilà ‘éclaireur’ pour les autres. Peut-on dire que ce fut l’histoire de ma vie? Un peu avant le lever du soleil, avec nos skis, dans une espèce d’éclaircie en forêt, nous créons un espace pour allumer un feu et déguster les boissons chaudes et le déjeuner apporté dans nos sacs à dos. Vraiment le 7e ciel pour nous tous, une quinzaine de participants.

Pourtant après ces deux week-ends formidables, pas d'autre occasion d'aventure de groupe de ce genre pour moi. Il aura fallu la pastorale-jeunesse pour que je revive une nouvelle expérience de camp. Voilà qu’en 1987, quelques mois après le lancement de cette pasto, suite à une demande des ados et à une réflexion des animatrices/animateurs, nous décidons de partir en camp au Parc de la Mauricie aussitôt que l’année scolaire se termine... L’un des adultes connaissait bien ce coin de pays et s’avérait très heureux de nous le faire découvrir. Mais… songez-y bien… quatre jours en tentes (cinq ou six de celles-ci, je crois, dont l’immense huit places que j’avais achetée pour l’occasion) avec plus de vingt jeunes et cinq adultes. Wow. Et, cela sous la forme de camping semi-sauvage, donc -à cette époque, du moins- sans vraies toilettes (seulement quelques ‘back-house’, communément appelées ‘bécosses’). De l’eau potable est disponible, mais pas de douches, etc. Aujourd’hui, je qualifierais cette initiative de quasi ‘suicidaire’… Quel manque flagrant de sagesse et de gros bon sens. Ou pensée magique? Il faut que jeunesse se passe, dit-on? Et, fidèle à sa tradition, le cher ciel québécois nous a plu dessus pendant trois des quatre journées. Certains jeunes (de 12 à 17 ans) ‘craquaient’ de temps en temps, les 'écluses' s’ouvrant. Vraiment trop pour un premier camp. Trop de participants, trop long, trop sauvage...trop. exigeant, trop... tout...

Plusieurs vivaient ce manque de confort de base pour la première fois et cela leur manquait douloureusement. Je me rappelle que certains avaient apporté des sous pensant pouvoir aller au village le plus près s’acheter des gâteries. Je n’en croyais pas mes yeux. Vous imaginez que, dans les circonstances, quelques-uns nous ont montré un côté de leur caractère que nous ne connaissions pas encore. Ce ne fut pas toujours facile que tous se respectent et sortent de leur ‘moi’ pour penser au bien-être commun; nous avons tenu cet objectif avec difficulté, mais chose certaine, tous, adultes comme jeunes, avons appris beaucoup durant ce séjour, sur nous-mêmes (nos talents et forces -à développer encore, nos limites -à dépasser), sur les autres participants (le privilège de les découvrir plus en profondeur, au-delà des premières impressions) et sur l’Évangile vécu concrètement : fraternité, patience, partage, courage face à nos peurs (la nuit, en forêt, il y a beaucoup de sons inhabituels), esprit de service, écoute, contemplation et action de grâces, persévérance, pour ne pas dire résilience, acceptation de la différence dans une proximité non nécessairement choisie et désirée, etc. 

Pour notre plus grand bonheur, nous avions la possibilité de nous rassembler pour nous réchauffer et faire des jeux (les sports n’ont pas pu se vivre comme prévu en raison de la météo maussade) et pour les repas sous un immense abri rustique avec poêle à bois. Nous profitions des quelques éclaircies pour utiliser le magnifique et immense espace de feu entouré de bûches-sièges pour faire le point –crucial!- sur notre vécu (les réussites, les joies, comme les choses à améliorer) prendre le temps de prier et célébrer ensemble, partager des témoignages de vie de foi, chanter, etc. Je me rappelle que tous m’ont fait une surprise en soulignant mon 30e anniversaire avec un gâteau et une carte (quelle discrétion incroyable de tous, pour la préparation de cela!). On m’a fait la traditionnelle ‘bascule’, au bord du lac, dans l’intention de m’y jeter, évidemment. Sauf que, dans la bousculade générale, on m’a échappé et j’ai plutôt ‘surfé’ sur le sable jusqu’au début de l'eau, me retrouvant avec un souvenir ‘marquant’ tout le long du dos. Heureusement, j’ai toujours eu le sens de l’humour…et la couenne dure. Dieu soit loué, on ne compta pas d’autres blessés au camp, sauf peut-être parfois dans l’égoïsme et l’orgueil.

Nous avons décampé un peu plus tôt que prévu, devant ranger l’équipement toujours humide. Ma grosse tente de nylon n’aura pas survécu à ma négligence de la faire sécher le plus tôt possible. Elle se déchira en morceaux lorsque je désirai l’utiliser vers la fin de juillet… Oups. Flagrant manque d’expérience là aussi…

Joyeuse surprise, la plupart des jeunes sont revenus au groupe à la fin de l’été pour une nouvelle saison d’activités, alors que nous les avions invités chez un couple d’animateurs (avec vraies toilettes!) pour une festive épluchette de blé d’Inde; occasion de regarder les photos prises lors du camp en nous racontant plein d’anecdotes et relisant le tout, finalement, comme un extraordinaire événement positif dans nos existences.

Dans les années qui suivront -on s’en reparlera- je vivrai avec les douze groupes de jeunes des huit paroisses du secteur l’Assomption-Repentigny, jusqu’à quinze camps annuellement. Pour la pastorale-jeunesse, ceux-ci constituaient un outil pédagogique extraordinaire dans toutes les dimensions de la vie.

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La semaine prochaine : les précieuses collaborations

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