L'examen de juridiction (52)


 Le jour de son 64e anniversaire, le 5 août 1988, mon père finalise, avec l'accord de ma mère, l’achat de son petit chalet dans Lanaudière. Beau petit coin de nature tranquille, il compte y venir le plus souvent possible. Mes parents possédaient déjà une humble maison à Montréal-Nord -ancien chalet que Roland avait rénové de peine et de misère- mais ils rêvaient d’avoir une humble propriété qui soit dans les montagnes, à prix raisonnable, leur budget s'avérant très limité.

Pour moi, ce fut l’endroit idéal pour aller étudier. Et mon curé de stage fut vraiment accommodant en me donnant toute la liberté nécessaire pour ce faire. Mais, étudier…encore? Après deux ans de Grand Séminaire, deux baccalauréats (dont un en théologie), une scolarité de maîtrise en dogmatique… ça n’était pas encore assez? En fait, il me fallait maintenant revoir tout le contenu de mes études de la ‘science de Dieu’ afin de me préparer à l’examen de juridiction. Toutes les autres démarches accomplies auraient pu être bloquées là si je n’avais pas réussi ce test. Quelle anxiété je portais, croyez-moi, en pensant à ce fameux 3 novembre. Entre mes lectures, j’allais me détendre et faire le vide dans mon cerveau en accompagnant mon père dans son ‘ménage’ du terrain, abandonné depuis quelques années et où la végétation de moindre qualité avait pris le dessus. Tailler les fardoches, bûcher les arbres morts, sortir les anciens troncs et souches du sol, faire des efforts physiques intenses,  rien de meilleur pour relaxer et contrôler le stress intellectuel.

J'ai passé des heures et des heures à lire mes notes de cours, particulièrement tout ce que mes confrères de Grand Séminaire m’avaient partagé, puisque j’avais eu un parcours quelque peu différent du leur, particulièrement en droit canonique (les séminaristes avaient alors -ce que je n'ai pas vécu- ce qu'ils appelaient l'examen de synthèse, en leur dernière année de GS, ce qui leur demandait de revoir toutes leurs études des quatre années précédentes; une excellente préparation à l'examen de juridiction). D’ailleurs, je me suis payé la traite en lisant pour la première fois en entier ce gros volume ecclésial expliquant toutes les règles de la vie de l’Église catholique...comme si j’allais devenir un avocat ecclésial! Sans oublier la re-lecture des documents conciliaires de Vatican II, et autres ressources fondamentales dans la vie de la vénérable institution. Précisons que le nouveau catéchisme a été publié en 1992, soit trois ans après mon ordination. Après cette parution, les intervenants ecclésiaux se sont vu offrir des cours en la matière, dans le cadre de la formation permanente demandée, entre autres, aux membres du clergé.

Après l'Action de Grâces, la date tant attendue approche rapidement.  Je décide, quelques jours avant, de me rendre au chalet pour un dernier bol d’air. Mes parents sont évidemment heureux de m’accueillir et de prier avec moi pour la réussite de l’examen. Voilà que, l’avant-veille, la météo annonce une bordée de neige de vingt centimètres dans la nuit du 2 au 3. Cela inquiète Rose et Roland. Ils me conseillent de partir avant la neige. Mais non. Moi, je ne suis pas inquiet. À cette époque, rien ne me faisait peur sur la route. Brume, neige, tempêtes de pluie, peu importe, je prenais plaisir à rouler, quelles que soient les conditions et les risques. Sauf que…j’avais une petite Toyota au profil bas, et sans pneus d’hiver (ça ne s'avérait pas encore obligatoire et je croyais que les 4-saisons suffisaient amplement). Au moment de quitter la maison très tôt pour me rendre à l’Archevêché (au centre-ville de Montréal), le chasse-neige n’avait pas encore dégagé notre route, très 'secondaire'. Je me donne un bon élan. Mes pneus s’agrippent bien au sol enneigé, mais… la calandre de ma voiture au capot plongeant ramasse empile toute la neige devant et je suis complètement immobilisé. Après de nombreuses tentatives, je réussis à reculer jusque dans la très large allée du chalet. Que faire maintenant? Je prévois appeler à la chancellerie pour reprogrammer l’examen. Mais mon père, audacieux et convaincu que ‘c’est aujourd’hui que ça se passe’ dans le plan de Dieu, m’offre de me conduire (quand même une centaine de kilomètres!) avec son camion F-150, bien chaussé, lui, pour la saison. Aussitôt dit, aussitôt fait!

Je pus donc subir le fameux examen oral. Trois prêtres-formateurs, que je connais, dont un canoniste, m'accueillent chaleureusement dans une petite salle où pendant plus d’une  heure je suis ‘bombardé’ de questions. On me demande, par exemple, ce que je pense de telle ou telle position de l’Église, particulièrement dans les questions morales. Ou de décrire clairement tel ou tel aspect du Credo, comme la descente de Jésus aux enfers ou la communion des saints; ou encore des questions de doctrine de comme les dogmes mariaux; il y avait bien sûr des questions sur la liturgie des Heures, les sacrements, surtout le baptême et la messe. Plusieurs interrogations portaient sur le mariage, sa validité, sa licité, et la déclaration possible de nullité. En tant que futur pasteur, on vérifiait aussi comment je me sentais face à un monde de plus en plus sécularisé (on n'avait rien vu encore...), comment je rejoindrais les baptisés ‘distants’ ou les gens d’autres confessions chrétiennes, ou même d’autres religions. On me questionnait évidemment sur la Bible et ma compréhension de certains textes de la Parole: quels seraient les points principaux de mon homélie sur tel passage. On m’a fait faire aussi des ‘jeux de rôle’ : par exemple, une dame vient se confesser à toi parce qu’elle s’est fait avorter, que lui dis-tu? (...question piège, parce que -êtes-vous bien assis-e...jusqu'en 2015-2016, seul un évêque pouvait donner l'absolution lors de l'aveu de cet acte; le pape François a ouvert cette possibilité aux prêtres ordinaires à partir de l'Année de la Miséricorde). Ou encore, un homme vient se confesser d’avoir péché contre le 6e commandement, que lui réponds-tu? Comme je n’avais pas appris les dix commandements  par cœur et dans l’ordre, la nervosité aidant, je voulus faire un peu d’humour, et je répondis, avec légèreté : je lui demanderais, c’est quoi, déjà, le 6e ??? Ma carrière de ‘stand-up comique’ se termina abruptement.

Après l’épreuve, je dus attendre un bon moment dans le corridor, plutôt inquiet. Lorsque l’un des examinateurs sortit enfin, il me félicita d’avoir réussi avec un pourcentage décent, et il veut m’offrir un cadeau! Je suis ému! Il part dans son bureau et revient avec…un minuscule livre gris : le petit catéchisme du Québec. Avec un clin d’œil, il me dit : je pense que tu vas en avoir besoin: ta doctrine s’avère un peu floue, pas assez tranchée. –Ah bon, me dis-je. Je montre trop de miséricorde, peut-être? (cette pensée n'a pas réussi à franchir mes lèvres, toutefois...)  Cela dit, je possédais maintenant la juridiction nécessaire pour accéder à l’ordination presbytérale et exercer en toute ‘légitimité’ mon ministère de prêtre dans le diocèse de mon incardination.

Dix jours plus tard, suivant la célébration de huit baptêmes (puisque je suis diacre), je roule vers le chalet en vue de célébrer avec mes parents et un couple d’amis la nouvelle étape que je m’apprête à vivre. Mais une mauvaise surprise m’attendait à mi-chemin.

La semaine prochaine: Un grand choc.

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