Nouveau coloc (60)
En 1990, mon curé Jean m'annonce qu'il partira à la fin de l'été 1991. Après un seul mandat de six ans. Il sent le besoin et l'appel à vivre un ministère différent, commençant par l'expérimentation de la vie monastique à Oka. Ce fut un choc pour moi. Je m'attendais à ce qu'il renouvelle et que nous pourrions vivre encore six belles années de ministère ensemble dans une paroisse que nous aimions tant. Et je peux vous dire que les gens appréciaient grandement l'abbé Robillard, particulièrement son écoute, et ses homélies. Je n'étais pas encore debout à cette heure, mais souvent au déjeuner il rentrait au presbytère après une longue marche contemplative ou un temps prolongé de prière dans l'église. Il avait son petit coin à lui, avec bréviaire et Prions en Église, une petite lampe tout près dans les bancs latéraux du choeur... Son désir d'Oka ne me surprenait pas. Mais je perdais un mentor, un ami, un père spirituel.
Qui le remplacera? Forcément, cela s'avère anxiogène de ne pas savoir avec qui nous allons vivre. Et travailler. Je ne pouvais faire autrement qu'avoir des appréhensions en me souvenant de mon premier stage... Quand le diocèse nomme un curé, il lui présente généralement quelques options. Souvent le prêtre ira, discrètement, voir les lieux, prendre un peu le pouls de la communauté célébrante, et s'informer sur le milieu avant de choisir. Le vicaire qui vit là déjà depuis plusieurs années (dans mon cas, cinq) n'a pas vraiment droit au chapitre. Aucune consultation préalable (je n'affirme pas que c'est toujours le cas; je vous partage mon vécu). Tu acceptes et tu t'adaptes, tant bien que mal. Tant mieux si ça fonctionne sur des roulettes, grâce à Dieu!
Ainsi, en 1991, j'accueille Ernest au presbytère, dans ce que furent les pièces de Jean. Il les aménagera bien entendu selon son bon vouloir et son style à lui. Il habite alors au rez-de-chaussé, ma chambre et mon salon à l'étage, situés directement au-dessus. J'avais encore, à cette époque, mon bureau de l'autre côté du corridor. Homme de goût, au tempérament artistique, lui-même musicien, nous avions des atomes crochus. De plus, ce fut une joie pour moi de savoir qu'il avait derrière lui une longue carrière d'animateur de pastorale au secondaire. Tout à fait dans mes cordes! Je me disais que, le diocèse sachant ce qui se vivait chez-nous en pasto-jeunesse avait probablement cru intéressant de nommer un prêtre particulièrement sensible à la participation ecclésiale des jeunes avec un vicaire qui en faisait, lui aussi, une priorité. Évidemment, j'espérais bien qu'Ernest pourrait me faire bénéficier de sa vaste expérience. Toutefois, à ce moment de sa vie il avait surtout envie de passer à autre chose et de vivre l'expérience du curé de paroisse, attiré par la diversité d'âges d'une communauté chrétienne et la richesse des missions, variées et remplies de nouveaux défis.
On peut aisément comprendre que ce fut pour Ernest tout un apprentissage que de découvrir sa nouvelle tâche et de développer les habiletés nécessaires. De mon côté, ayant oeuvré en paroisse depuis l'âge de 15 ans, j'ai fait de mon mieux pour faciliter son intégration et la profonde transition qu'il avait à vivre. En fait, tout le monde s'est empressé de le soutenir: les marguilliers ou le Conseil de pastorale ainsi que les nombreux autres comités, l'effort fut édifiant. Nous nous respections l'un l'autre dans nos différences et comme -cela va de soi-nous ne partagions pas la même journée (et demie) de congé, il ne restait que cinq jours par semaine pour nous côtoyer. Nous n'étions pas aux mêmes eucharisties, mais nous préparions certains projets ensemble. Ayant tous les deux une immense tâche, c'est surtout lors des quelques réunions communes et à l'occasion de certains repas que nous pouvions apprendre à nous connaître et 'rêver' ensemble la vie de la paroisse. Notre objectif commun: toujours mieux servir l'ensemble de la communauté.
Pour les fidèles pratiquants, à certains égards le contraste s'avérait grand entre Jean Robillard et le nouveau pasteur. Entre autres, Ernest avait de la difficulté avec les homélies alors que Jean y excellait vraiment. J'ai souvent dû demander aux gens (en toute discrétion) de cesser de me partager leurs critiques négatives à ce sujet et d'accepter que la force de leur nouveau curé ne se trouvait peut-être pas là... Je suggérais aussi qu'on donne sa chance au coureur et qu'on lui laisse le temps de s'y faire. On saisit bien qu'on ne parle pas de la même approche et du même langage qu'il s'agisse de la pastorale dans une école secondaire ou du cadre liturgique paroissial.
Un des grands charismes d'Ernest fut son attention aux plus démunis et isolés; il portait un grand désir de s'impliquer le plus possible en pastorale sociale. Outre la fondation du camp 'Vie-Soleil' (du temps de son ministère dans le réseau scolaire), on lui doit la fondation de la Maison La Trace, à l'Assomption, que je vous invite à découvrir ici: https://www.facebook.com/share/16XpDDN34o/
Quel bel héritage pour la communauté!
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La semaine prochaine: Pauvre papa!