Silence, on respire! (57)


 Après le moment béni de mon ordination presbytérale et de ma première messe, l’été et les vacances arrivent rapidement. Dans mon texte précédent, j'ai oublié de vous partager ceci: le jour de son ordination, à la fin de la cérémonie, l'archevêque dévoile au nouveau prêtre et à l'assemblée la nomination qu'il reçoit sur le champ. Cela génère un peu de stress, mais généralement on le nomme vicaire dans la paroisse où il se trouve déjà actif. Il peut y avoir des exceptions pour diverses raisons, mais comme vous vous en doutez, l'évêque a confirmé mon engagement à l'Assomption (pas de mandat précis, toutefois, contrairement aux curés qui en ont un de six ans à la fois) dans un tonnerre d'applaudissements et d'émotion joyeuse de part et d'autre, cela se conçoit facilement.

Après une saison pastorale 1988-89 exaltante mais épuisante, un véritable tourbillon incessant, le temps de repos arrivait à point. Avec l’accord de mes confrères de la paroisse, je favorisais le mois de juillet si possible. Comme prêtre diocésain de Montréal, nous avions le droit à quatre semaines de vacances, incluant quatre week-ends. Sans compter les cinq jours de retraite annuelle. Chacun peut décider s’il prend ses vacances en semaines consécutives ou non. Dans mes équipes, on me permit pratiquement toujours de prendre un mois en entier. Après le décès de mes parents, il m’est arrivé d’en réserver une semaine pour la prendre au début de juin, cela me permettant d’acheter et planter mes annuelles et de faire certains travaux au chalet. Ça me donnait aussi la possibilité de reprendre un peu mon souffle avant les dernières activités paroissiales de l’année, entre autres tous les temps d’évaluation de la saison pastorale écoulée et la planification de celle qui s’annonçait déjà. De plus, en juin, souvent les différents comités s’organisaient de  petites fêtes pour célébrer la mission accomplie dans les dix derniers mois, sans oublier le traditionnel grand rassemblement festif des bénévoles s’adressant à toutes les personnes impliquées dans la communauté. Tout cela demandait une bonne qualité de présence, et beaucoup d’énergie alors que, pourtant, il en reste peu dans la ‘réserve’.

Le 30 juin 1989 donc, treize jours après mon ordination, me voilà sur la route des vacances, mais une halte s'impose: je suis invité à l’église catholique de Rawdon où sera ordonné un confrère de Grand Séminaire, du diocèse de Joliette. Un sentiment spécial m’habite : quel bonheur de participer à cette cérémonie en tant que tout nouveau prêtre. J’imposerai les mains à Claude Ritchie comme tant d’autres l’ont fait pour moi il y a alors moins de deux semaines. Après une copieuse collation partagée, je reprends rapidement le volant en direction de la maison de mes parents, qui viendront me rejoindre, à la montagne. Le lendemain, fête du Canada, ce sera mon 32e anniversaire de naissance, que je célèbrerai très sobrement avec mes trois plus proches; vous comprendrez que j’avais eu ma dose de fêtes à grand déploiement! Le soleil et la chaleur participent à l'unisson au bonheur que je ressens à cette occasion.

Mes deux ou trois temps d’arrêt prolongé annuels s’avéraient salutaires, ayant l’occasion de 'respirer par le nez'; ni torpeur, ni ivresse, mais l'adoption d'un rythme radicalement différent; prier avec intensité (rencontre de soi et de l'Autre), sans que ce soit directement relié au travail; (Mgr Turcotte suggérait à ses prêtres de se donner deux heures de prière ‘non-professionnelle’ chaque jour, ce que nous arrivions difficilement à faire, sauf durant les vacances). Quelle joie aussi de me dépenser physiquement –ne serait-ce que par la marche- et de me nourrir  intellectuellement avec gourmandise (en avide lecteur que je suis depuis toujours). Je me permettais à l'occasion quelques escapades dans notre beau Québec ou autour. Pas besoin d’aller bien loin pour découvrir d’extraordinaires merveilles. Et, au fond, n'est-ce pas en soi qu’on découvre la plus merveilleuse des Beautés… Saint Augustin disait : «Je t’ai cherché partout. Je te croyais dehors, tu étais au-dedans, Dieu.» Il affirmait qu’il y a en chacun un ‘espace’ sacré, voulu par notre Créateur, et que lui seul peut combler pour nous rendre pleinement heureux. Trouvez-vous que notre société nous invite à cela? J'ai la forte impression qu’on favorise tellement plus la recherche du bonheur à  l’extérieur de nous.... Un Sage disait que la plus grande des aventures n’est pas l’ascension de l’Everest mais la conquête de soi; en d’autres mots, le voyage intérieur, que tant de gens fuient aujourd’hui, souvent inconsciemment. 

Le silence constitue un ingrédient incontournable de cette 'aventure' existentielle, de tout parcours vraiment humain.

Au cours de ma vie active, j’ai malheureusement constaté à maintes reprises que beaucoup vivaient mal le silence nécessaire au cheminement intérieur (je l’ai vu, même en liturgie, où certains cherchent toujours à remplir ce qui leur semble ‘des trous’ lorsqu’on veut faire silence, comme après un chapelet, une lecture, l’homélie ou la communion); dommage. On passe vraiment à côté de précieuses et vitales prises de conscience ou même de guérisons profondes. Bien entendu, il arrive que ce soit l’orage dans nos profondeurs, quand on freine la machine et qu'on 'inspire' profondément. Les pensées se bousculent, des choses remontent et peuvent nous angoisser. Toutes les personnes ayant vécu une psychothérapie sérieuse connaissent ce défi de plonger résolument en nous-mêmes, difficile, jalonné de résistances, mais tellement sain...et saint.  Comme disciples du Christ, cette démarche consiste ainsi à présenter humblement au Soleil de Dieu tout ce qui fait surface, afin qu'il nous irradie de son Amour-Miséricorde et puisse agir en nous, avec notre libre consentement, bien entendu. Connaissez-vous la démarche de l'évangélisation des profondeurs (de l'auteure Simone PACOT)? À découvrir! Un trésor extraordinaire: https://lepelerin.org/portail/services/evangelisation-des-profondeurs/

Dans notre monde incroyablement ‘bruyant’ (et pas seulement par des sons mais par toutes sortes d’interférences), il faut choisir et décider de s’offrir des plages de silence, pour l’apprivoiser et en bénéficier. Exigeant et pouvant sembler parfois impossible au cœur des agendas hyper chargés que nous avons, surtout quand on a une famille à élever, ou qu’on a de nombreuses obligations, comme proche- aidant, par exemple. Pourtant, cette ‘discipline’ du silence s'avère thérapeutique et ne peut que nous faire du bien et nous aider à devenir de vrais chrétiens, ne serait-ce que cinq minutes à la fois, mises de côté pour notre Seigneur Bien-Aimé et sa merveilleuse création que nous sommes. Souvent, j’ai trouvé mes plus beaux moments de silence et de solitude choisie dans ma voiture, dans les transports en commun ou en faisant une promenade à pied dans mon quartier. Voilà un ‘soin de santé’ à privilégier pour nos âmes: plus que de la simple absence de bruit, il s'agit d'un silence-contemplation, un silence 'habité' où nous investissons  prioritairement dans le savoir-être plutôt que le savoir-faire. L'habitus qui se crée et se développe alors vient influencer notre vécu tout au long de l'année en nous donnant 'soif' de cette intériorité expérimentée avec satisfaction.

Dans tous les cas, après la pause estivale ou la retraite spirituelle de silence complet, je revenais au ministère 'au coeur du monde' toujours bien re-posé, re-centré, rafraîchi et restauré, enrichi, grandi, prêt à faire face aux nombreux et stimulants défis d’une nouvelle année pastorale. La première suivant mon ordination demeurera toujours dans ma mémoire, croyez-moi.

La semaine prochaine : on étrenne le nouveau!

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