Le grand défi (66)

 


Je ne me rappelle plus si c'est à l'automne 1992 ou à l'hiver 1993 -j'étais dans l'épreuve de la maladie terminale de mon père- mais un jour, lors d'un repas au presbytère, le curé Beausoleil me dit qu'il a une proposition à me faire.

En avait-il d'abord parlé aux autorités du diocèse? J'imagine que oui. Il me demandait si j'accepterais de piloter un nouveau projet: la pastorale-jeunesse de secteur. Il s'agit ici d'un sous-ensemble d'une région pastorale. Nous vivions dans l'immense Région Est et notre secteur s'appelait L'Assomption-Repentigny. La proposition originale voulait que je lance d'abord cette aventure dans quatre des huit paroisses du secteur et que je demeure vicaire à demi-temps à l'Assomption.

Comme le curé avait remarqué une certaine facilité de communication que j'avais avec les jeunes, il se disait que ce serait intéressant que l'un des prêtres du coin tente de rejoindre les ados, souvent négligés en paroisse. Lui-même avait vécu une grande partie de son ministère dans au moins une école secondaire, il aimait les jeunes et souhaitait qu'on puisse les rejoindre davantage pour leur proposer l'Évangile, par des activités et projets appropriés. Ça n'était pas plus détaillé que cela. Les attentes s'avéraient plutôt larges, ou plutôt...vagues.

Vous comprenez que j'ai demandé un temps de réflexion et de prière avant d'accepter. Dans un premier temps, ce nouveau mandat de l'évêque inclurait quatre paroisses et pourrait éventuellement s'étendre aux quatre autres du secteur si l'expérience s'avérait concluante. On me disait que le diocèse rêvait que cela s'implante petit à petit dans tout Montréal. Ma rémunération demeurerait celle d'un vicaire (à l'époque, inférieure à celle d'un curé, et à des années-lumière d'un aumônier au Secondaire!); 50% seraient assumés par l'Assomption où j'oeuvrerais à temps partiel et l'autre moitié serait défrayée par les quatre communautés, au prorata de la population. Évidemment, il fallait que les marguilliers et les pasteurs acceptent cet arrangement financier.

Ce chantier se présentait quasi comme une page blanche. J'étais fort de mon expérience de plus de cinq ans sur le terrain, à l'Assomption, mais je n'avais pas reçu, au fil de mes études, de formation spécifique dans ce domaine. Dès 1987, je m'étais plongé dans la littérature américaine de pasto-jeunesse (très peu de choses du côté de la France et encore moins au Québec, à cette époque...) et j'apprenais au fur et à mesure. Heureusement que nous étions plusieurs adultes à porter cette préoccupation jeunesse (je vous ai déjà parlé de cela dans de précédents textes) et je me disais que l'expérience scolaire d'Ernest Beausoleil pourrait constituer une référence très utile. De plus, un service de pastorale-jeunesse voyait le jour et je pouvais communiquer avec le premier responsable autant que j'en avais besoin. Celui-ci a d'ailleurs mis sur pied une table réunissant toutes les personnes jouant le même rôle que moi dans notre entité diocésaine... Nous n'avons jamais été que...deux, l'autre étant à Laval. J'aurais bien aimé que les visio-conférences existent à cette époque. Nous vivions loin du 2000, Sherbrooke Ouest (juste en face du Grand Séminaire, près de l'ancien Forum).

Honoré de la confiance qu'on me faisait, mais me sentant bien petit et mal outillé, j'acceptai avec enthousiasme ce beau et grand défi en me disant que nous écririons à plusieurs une magnifique page de l'histoire de l'Église dans notre milieu. Tellement exaltant! Mon ancien curé, Jean Robillard, disait toujours avec humour que nos 'oui' s'expliquaient par une 'grâce d'aveuglement'. Parlons plutôt d'abandon confiant. Comme on le chante dans l'introduction de la prière des Heures (bréviaire): «Dieu, viens à mon aide; Seigneur, à notre secours!». Ce saut dans la foi ne pouvait se vivre que dans la conviction qu'il s'agissait de la volonté du Seigneur et que son Esprit nous guiderait tout au long des démarches que nous allions entreprendre. Je dis 'nous' parce que j'ai toujours porté la profonde conviction que quelle que soit l'initiative prise en Église, cela ne peut (et ne doit absolument pas!) reposer sur une seule paire d'épaules et se vivre en silo (je ne prétends pas avoir réussi cela toujours parfaitement). Dès le début, je m'affairai donc à vivre une collégialité évangélique et à m'entourer de nombreuses personnes intéressées et envoyées par l'Esprit. L'exemple de Jésus se choisissant des apôtres confirme cette nécessité. Mais attention, il ne faut pas voir ces personnes que nous sollicitons pour un comité comme des 'exécutants' de nos désirs et de nos rêves de leader. L'Esprit parle en chaque baptisé et il faut réellement libérer la parole de celui-ci en chaque individu. Toujours faut-il savoir écouter et ne pas faire semblant d'impliquer les gens alors que nos plans sont tracés d'avance. Un marguillier dans une paroisse de Montréal m'avait déjà partagé qu'il démissionnait parce que son curé ne voulait au fond que des 'Yes man', des marionnettes accomplissant ses idées, les seules bonnes, bien entendu... Je ne voulais surtout pas tomber dans ce piège, malheureusement trop souvent rencontré en Église. Pour moi, devenir responsable d'un pan de la vie ecclésiale signifie avoir le rôle d'«ouvreur de portes», de facilitateur qui met en lumière et permet l'exercice des talents, charismes et possibilités des soeurs et frères disciples avec nous (et non pas 'de' nous).

N'oublions pas que, tout Fils de Dieu qu'il était, Jésus acceptait de se faire interpeller et 'déranger' par les siens et les gens rencontrés. Doux et humble de coeur... il provoquait et valorisait constamment l'apport des autres.

La semaine prochaine: La tournée





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