Scout, toujours (65)
Jeune enfant, mes parents m'avaient proposé de faire partie du mouvement scout de ma paroisse. Étant plutôt solitaire de tempérament, on ne peut pas dire que ça m'attirait vraiment... Mes parents furent désolés que cela ne fonctionne pas parce que nous avions dépassé la date limite d'inscription, mais je m'en réjouis intérieurement. L'an prochain...on verra... Il n'en fut plus jamais question.
Cela me rattrapa toutefois...à l'âge adulte! En effet, un jeune scout de l'Assomption, qui était très impliqué dans notre Jeunesse-à-Coeur paroissial, m'approcha pour me demander si j'accepterais de devenir l'aumônier de son groupe d'Éclaireurs des Scouts Baden-Powell. Je demandai moult explications de ce en quoi consistait la tâche. Avec réticence, je décidai de rencontrer le chef de la troupe pour en savoir plus sur l'engagement proposé. Dans un esprit de service et par amour pour les jeunes, j'acceptai cette nouvelle mission. Il me fallait, bien entendu, devenir scout moi-même, me former un minimum sur les principes, la structure hiérarchique, les règles et rituels, les us et coutumes de cette troupe en particulier les activités des scouts BP, sans oublier les prières et les chants. Tout à fait logique. Il en fut de même quand, à Saint-Sulpice, on me demanda de servir en tant qu'aumônier des Chevaliers de Colomb en l'an 2000 (on en reparlera).
Je fis éventuellement ma Promesse et devins prêtre-scout. J'avais début trentaine. Mieux vaut tard que jamais, n'est-ce pas? Du haut du Ciel, mes parents devaient me regarder avec un petit sourire en coin... Je me procurai le costume (ce qui frappe toujours le plus, bien entendu: le foulard aux couleurs du groupe), on me prêta dizainier, insignes et emblèmes, sans oublier le médaillon relié à mon statut de Conseiller Religieux. Je présidais aux promesses des jeunes, pas seulement des Éclaireurs (les ados) mais les plus jeunes aussi, ainsi que, à l'occasion, dans d'autres paroisses où la pénurie de prêtres se faisait sentir. J'eus l'occasion de participer à plusieurs camps se tenant durant les vacances des Fêtes ou durant l'été (pas toute la durée de ceux-ci mais quelques jours au moins.) Je dormais alors dans l'immense tente de la Maîtrise (les autres adultes responsables; on parle d'un simple abri en toile traditionnel, sans plancher, dans lequel nous devions brêler notre propre lit). Je présidais aux moments de prière, particulièrement l'Eucharistie. Je me faisais tout oreille pour les jeunes et les adultes qui ressentaient le besoin de se confier. J'aidais à différentes tâches manuelles, comme tout le monde. Nous avons séjourné dans différents lieux magnifiques à Chertsey, Entrelacs, le Lac Taureau (à Saint-Michel-des-Saints), et j'en passe.
J'ai tant appris, chez les scouts, et pas seulement à faire une variété de noeuds. Quelle belle école de fraternité-solidarité, d'entraide, d'apprentissage du vivre ensemble en paix, accueillant nos différences comme une riche complémentarité; sans oublier la discipline personnelle et le dépassement de soi. dans différentes épreuves, comme de garder le feu sacré allumé, jour et nuit, en se relayant, fatigués ou non. Si celui-ci s'éteint, on lève le camp! Évidemment, on ne peut passer sous silence le souci écologique des scouts, valeur majeure et question de vie ou de mort de la planète, cadeau du Créateur. Moi qui avais déjà un immense amour de la nature, j'ai pu vivre mon implication dans le mouvement comme un privilège, une grâce spéciale, une occasion de contemplation et d'émerveillement. Je me rappelle entre autres une nuit à la belle étoile en pleine forêt. Et quand on dit 'à la belle étoile'...cette nuit-là, il y en avait des millions au-dessus de notre tête! Quel spectacle, loin de toute source lumineuse. Comment réussir à dormir pendant un tel moment magique! Nous étions directement étendus sur le sol, sans sac de couchage, les branches de sapin s'avérant plus confortables que tout matelas de mousse. C'est étrange comment dans un tel contexte, on perd notre aversion des insectes et des araignées. Quant aux coyotes, aux ours et autres bêtes du genre, le petit feu allumé au milieu de nous suffisait sans doute à les garder à distance sécuritaire. Mais, vous savez, sauf exception, les habitants de la forêt ne veulent pas vraiment avoir affaire à nous, à moins de se sentir menacés. Cette nuit mémorable a sans doute contribué pour les jeunes et moi à vivre une autre vertu scoute: la conquête de nos peurs. Finalement, après un long temps de fascination, presque d'extase, nous sommes entrés dans un paisible sommeil...rythmé par le ronflement de certains.
LA TOTÉMISATION
Le sommet de mon expérience du scoutisme fut la soirée de totémisation. Un membre du mouvement m'avait convaincu de vivre ce temps exceptionnel, qui consacrerait vraiment mon engagement dans le mouvement et marquerait symboliquement mon intégration au groupe. Il s'agit d'un genre d'initiation secrète (un peu comme les Chevaliers de Colomb) pour laquelle, je l'avoue, je me montrai quelque peu réticent. Avant d'acquiescer, je vérifiai auprès des responsables qu'il n'y aurait rien dans cette démarche qui irait contre mes valeurs humaines et chrétiennes, rien pouvant choquer la pudeur et le respect de soi et des autres. On me rassura.
Durant les heures précédant la dite nuit, je jasais avec des compagnons adultes autour de la table de pique-nique au bord du lac. Je demandai tout bonnement à ceux-ci s'il y avait des huards sur le lac. Je trouvais dommage de ne pas en avoir entendu un seul depuis mon arrivée. Avec un regard qui me parut étrange, ils me répondirent, en dissimulant difficilement un sourire, que oui, il y en avait assurément un. Ah bon. Nous sommes passés à un autre sujet. Je compris enfin ce moment bizarre lorsque, à la fin de l'initiation, on m'annonça mon nom de totem: 'Huard'! Éclat de rire général devant mon expression de gars qui 'allume' enfin! Je me sentis honoré car c'est une espèce de canard que je trouve tellement belle et dont j'apprécie grandement les chants, uniques à cet oiseau. On ajouta que les responsables m'avaient donné ce nom parce qu'on dit du huard qu'il n'hésite pas à donner sa vie pour défendre les siens. J'avoue que l'émotion commença à troubler ma vision. Quand un scout reçoit son nom de totem, on y ajoute toujours une qualité, généralement à développer. Pour les adultes, il semble que la qualité en question s'avère déjà acquise. Quel bonheur quand on m'annonça mon nom complet: 'Huard modeste'. Sans m'en vanter...je dirais que cela représente bien mon tempérament. Personne n'est à l'abri de la vanité et de l'orgueuil, qui peuvent s'insinuer subtilement dans notre existence, mais j'ai fait le choix de lutter contre ces maux, en moi d'abord, si destructeurs de relations et tellement contraires à l'humilité évangélique. La vie de Jésus visibilisait parfaitement celle-ci; souvent il interpellait ses disciples et l'establishment religieux à ce sujet. Une valeur majeure dans le christianisme. Malheureusement, l'expérience nous prouve que, même dans l'Église, on ne sert pas Dieu tant que ça...mais on se sert de Lui pour gonfler notre ego.
Un immense merci au mouvement scout pour tant de confiance et de richesses partagées. Il s'agit là d'une page importante de mon sacerdoce. Je ne sais pas comment se porte le scoutisme de nos jours, au Québec, mais j'y crois profondément. À l'heure où des jeunes se cherchent une 'famille', un groupe d'appartenance dans laquelle trouver acceptation et activités comblantes -les gangs de rue profitant d'ailleurs de ces besoins criants, mais de façon destructrice- je vous assure que devenir scout répond à ces besoins fondamentaux et laisse une trace vraiment positive qui influence toute la vie de ceux et celles qui s'y impliquent, jeunes ou... moins jeunes.
La semaine prochaine: Le grand défi


 
 
