Nicaragua- L'enfer existe, nous y avons marché! (80)

--Source: Wikipedia (nous n'avons pas pris de photos à cet endroit)--

Voilà une expérience parmi les plus marquantes et inoubliables de ma vie. Je vous partage ici ce que j'avais écrit, comme dans un journal personnel, suite à celle-ci. 

« Quelle journée! Après que l'une des nôtres se soit légèrement blessée en tombant sur le chemin de terre et de roche qui nous amenait à destination, après un voyage pénible en autobus municipaux erratiques (la jeune femme en question a été rapidement prise en charge, mais n'a pas pu vivre la suite en raison du danger d'infection trop élevé), nous sommes arrivés aux lieux en question. Le reste ne se raconte presque pas... J'ai mal. Et je ne pourrai certainement pas rendre l'atmosphère et les sentiments vécus en cette journée harassante.Ce bouleversement intense me donne des crampes au ventre rien qu'à y penser: nous avons vu et marché en enfer! Bienvenue au dépotoir municipal de Managua (la capitale). Des montagnes de déchets qui s'étendent à l'air libre sur des kilomètres et des kilomètres. Ici, le tout se rend jusqu'au grand lac de la ville où beaucoup prennent leur eau 'potable'.

En approchant à pied, sous un soleil de plomb, on pouvait deviner de loin l'emplacement de cet endroit infecte car d'immenses vautours survolaient les immondices pour y trouver leur repas; des charognards qui se disputaient la moindre pièce consommable, avec les chiens...et les humains!

Le plus affreux: un bidonville a pris naissance sur ces montagnes de rebuts. Au moment de notre visite, des centaines de personnes vivent dans l'enceinte de cette décharge géante et se massent quotidiennement avec les pauvres des quartiers environnants qui viennent y travailler (on parle de milliers). Des hommes, des femmes et des enfants se ruent littéralement sur chaque camion arrivant avec sa cargaison, se battant même parfois pour dénicher, à l'instar des animaux présents, un fruit, un légume, etc., jetés par un supermarché. Même une semelle de soulier, un morceau de fer, en fait tout objet pouvant être utilisé ou se revendre, suscitera l'intérêt de tout un chacun. Question de survie.

Debout en silence, en compagnie d'un travailleur de rue qui nous avait préparés psychologiquement au choc, quelques heures auparavant, nous essayons de retenir haut-de-coeur et larmes devant cette scène cauchemardesque, dantesque. La fumée des feux consumant sans cesse les immondices, la nudité du paysage apocalyptique, la vue des habitations de carton et de tôle entourées de mares d'eau de ruissellement où les enfants jouent et...boivent... tout cela nous touche au plus profond de l'âme, et nous révulse. Je me demande encore comment j'ai fait pour ne pas perdre connaissance. Et l'odeur... L'odeur qui par moments devient carrément insupportable et s'accrochera à nos narines des heures durant après notre retour à l'hébergement. Tout concourt à nous étouffer d'angoisse et d'émotion devant ces familles qui vivent à l'année dans des conditions infra-humaines. Même les bêtes crèvent de ce qu'ils mangent dans cet endroit infernal; ici un chien mort, là un cheval ou un bovin crevé. Rien qu'à penser aux microbes présents en ce lieu, la peur nous serre les tripes et nous avons le goût -non, on en ressent l'urgence!- de hurler pour dénoncer cette horreur. On nous avait bien avertis de ne pas nous approcher des gens et surtout de ne pas prendre de photos, directives de M. le Maire. La décence nous l'interdisait par elle-même. Nous n'étions pas des touristes en mal de sensations fortes. Peu importe, nous raconterons ce que nous avons vu, pour sensibiliser, interpeler, conscientiser. C'est le moins qu'on puisse faire, tout en sachant que rien ne peut véritablement rendre compte de ce dont nous sommes témoins sur cette terre d'Amérique centrale pas si loin de chez-nous.

Dans cette brume opaque du dépotoir, un rayon de lumière: le centre social des 'Deux générations' -des jeunes gens du pays qui s'occupent de rencontrer ces êtres démunis à l'extrême et de mettre sur pied des programmes pour les enfants/ados et leurs familles: théâtre amateur, baseball, folklore, ateliers de toutes sortes pour aider les bénéficiaires à s'élever un peu au-dessus de leur abîme. Pour moi, ces travailleurs sociaux sont les saintes et saints de ce siècle, les 'Mère Térésa' du Nicaragua. Ils n'ont pas de sous à partager. Rien que leur très courageuse présence au quotidien et un invincible espoir pour la génération qui pousse. Selon leur témoignage, leur oeuvre porte du fruit après quelques années seulement d'implication sur le terrain. Les habitants de la 'Chureca' (la décharge) commencent à retrouver une parcelle de leur dignité humaine: ils sont enfin visibles et importants pour quelqu'un. Un petit pas vers l'avant. Un petit pas à la fois.

Qui sait, peut-être que -si toutes les forces vives de ce coin de l'Amérique s'unissent pour changer les choses en profondeur- un jour il n'y aura plus, comme nous l'avons vu de trop près, de petits bébés couchés sur une dérisoire couverture mitée posée directement sur les déchets, protégés du soleil et des gros oiseaux de proie par de minuscules charettes rudimentaires pendant que les parents s'acharnent à y entasser les 'trésors' découverts.

Il est un rêve...» (Juin 1995)

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